Virtuel et vertu : gagner d’un côté ce qu’on perd de l’autre ?

Virtuel et vertu : gagner d’un côté ce qu’on perd de l’autre ?

10 janvier 2022 Non Par Paul Rassat

Le virtuel est du potentiel. Il s’oppose à l’actuel. Le virtuel possède donc cette qualité d’appartenir toujours au monde de demain. Notez que le monde de demain est préférable au monde d’après. Le premier ouvre un développement permanent avec le monde d’aujourd’hui qui devient celui d’hier. Le monde d’après instaure une coupure.

Le virtuel qui demeure virtuel

Le défaut du virtuel est qu’il peut demeurer virtuel, à l’état de possibilité jamais réalisée. Le TLFi nous apprend que la notion de travail virtuel existe en mécanique. Pas uniquement. D’après la justice elle existerait aussi en politique, chez les Tiberi, les Fillon et bien d’autres.

Les avantages du vrai virtuel

Un travail, un emploi, une mission, une fonction virtuels présentent l’énorme avantage de ne pas prêter le flanc à la critique. Comment, en effet, évaluer négativement les effets concrets de ce qui concrètement n’existe pas ? Et c’est ainsi que nos élus, pour beaucoup, briguent des mandats successifs. Le moment de leur élection serait le seul où ils ont le sentiment d’exister pleinement. Il légitime tout ce qu’ils ne réalisent pas ensuite et demeure virtuel.

La vertu du virtuel

Étymologiquement, le virtuel flirte avec la vertu. Celle-ci a perdu depuis longtemps son sens de courage physique. Les prix de vertu et les rosières ont disparu. Que reste-t-il de la vertu ? La possibilité pour chacun d’agir ou non en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, ou non. Vivrions-nous désormais dans un monde de petite vertu ?

Du virtuel en veux-tu, en voilà !

Le fameux monde virtuel n’est-il pas notre lot quotidien d’espoirs, de déceptions, de calculs, de procrastination, d’anticipations, d’atermoiements ? À l’opposé, regarder la réalité en face, comme on nous le demande, finit par créer du strabisme.

La gratuité ne vaut plus rien

Dans ce merveilleux petit livre, Denis Guedj cite Deleuze.

« Nous manquons de résistance au présent » (in Qu’est-ce que la philosophie ?).

Il est à tel point colonisé par la lutte pour la survie qu’il tend à ne laisser aucune place à la négativité. » Mais alors, où puiser des forces si le présent n’est qu’un champ de faiblesses, s’il se réduit à une expérience constante d’épreuves qui m’affaiblissent ? Isabelle Stengers répond : « Apprendre à penser, c’est apprendre à résister à un avenir qui se donne comme évident, plausible et normal. Résister à cet avenir dans notre présent, c’est faire le pari que ce présent offre encore matière à résistances, qu’il est encore peuplé de pratiques qui restent vivantes. »….

La pensée hypothétique selon Denis Guedj

« Aujourd’hui, plus encore que par le passé, on assiste au déchaînement de la pensée-gestion. Suite d’affirmations assurées:

 1° Il est vrai que ceci est.

 2° Il est nécessaire d’en tirer les conséquences.

 3° Il est capital que ces conséquences, tirées du REEL, soient considérées comme les seules valides. En dehors d’elles, chimères et délires!

   Traire ce qui est pour nourrir “l’état des choses” et le faire perdurer, voilà le traitement que les gestionnaires de l’ETANT infligent au monde… »

Des liens en puissance plutôt que virtuels

   Nous disposons, heureusement, d’un autre type de pensée, la pensée hypothétique ou conditionnelle: “SI…,alors..” C’est le “si” des enfants: si j’étais ceci…Qui interdit qu’il ne soit également celui des parents ? Il fonctionne comme une machine à tisser  des liens “en puissance”… en puissance et pas virtuels. Dès que, par l’esprit, la liaison entre ceci et cela est établie, un choix se présente…. Seule une pensée (un peu) libérée de la dictature de “l’état des choses” peut s’opposer à la pensée-gestion. N’être plus plombé par le Réel, tout en ne le niant pas, permet de l’anticiper et procure quelques moyens de le faire être autrement qu’il s’apprête à être, et qu’il sera si je ne m’en mêle pas…. » Et c’est ainsi que Talpa se mêle de tout.