Visuel et narratif
29 mars 2025Visuel : Adjectif, « Qui est relatif, qui se rapporte au sens de la vue…[En parlant d’une pers.] Chez qui le sens de la vue prédomine…Substantif masculin : Ce qui s’adresse à la vue, ce qui relève du domaine de la vue… INFORMAT. Dispositif d’affichage ou d’inscription sur un écran ou une console à tube cathodique; cet écran ou cette console` » (TLFi).
Le visuel
Lors du premier épisode de TOP Chef 2025, il a été question du visuel. On entend aussi parler du « narratif » de Poutine. Nous y reviendrons. Notre époque glisse du substantif, le nom, à l’adjectif qualificatif. De la substance et de la matière au qualificatif, à l’aspect, à la qualité visible de l’extérieur. La ville d’Annecy avait postulé au titre de « Capitale française de la culture ». Il s’agissait, nous dit un communiqué de presse de la ville de » scénographier la ville de demain »…le projet proposait qu’une centaine de sites, répartis dans toute la ville, soient investis par des réalisations artistiques, déambulatoires, rassembleuses et spectaculaires. «
Scénographier
Il s’agirait donc de scénographier le visuel ! De transformer la réalité dans laquelle nous vivons en un écran sur lequel nous passons nous-mêmes nous selfiant dans un système de vases communicants. Car de communiquer il s’agit, si possible en scénographiant. Notre réalité ressemble de plus en plus aux tendances actuelles de la pâtisserie car celle-ci se tourne vers la gonflette : mousses, émulsions, glacis pour enrober le tout, et le tour est joué.
Gonflette
Dans ce premier épisode de Top Chef, on a pu ne pas voir à l’œuvre les inspecteurs du Michelin. Ils demeurent anonymes. Mais on a entendu certaines appréciations comme : « Ça donne envie. » L’envie se suffit désormais à elle-même ; elle ne nécessite plus de complément. Ou bien : » Le bouillon est parfumé, en tout cas…Une mâche qui est plutôt intéressante. » Quand la formulation vient appauvrir la complexité de la préparation ! Il faudrait peut-être renouveler et enrichir le vocabulaire de la gastronomie sans tomber dans la gonflette ni la scénographie.
Narratif
Avant, mais c’était avant, le mot narratif était un adjectif qualificatif. On parlait de mode narratif. Désormais le narratif est un nom. Tout comme le verbe faire a donné le faire afin qu’on y croie dur comme. Parce que les mots envahissent tellement l’espace public qu’on ne sait plus très bien où l’on en est. Entre le dire et le faire, il est dur de s’y retrouver. Plus on en dit, moins on en fait, plus il est important de dire qu’on fait. C’est alors que le faire s’impose comme un couteau qu’on tourne dans le play. Tout ceci est un jeu.
Le narratif
Le narratif vient du verbe narrer, qui vient lui-même du latin narrare , dont l’ancienne forme était gnarigare, de gnarus et agere, rendre connaissant, nous dit le Littré. Les journalistes, les experts, des gens qui passent au crible l’actualité afin d’en vivre parlent volontiers du « narratif de Poutine ». Mais quand Poutine narre, point ne me marre. Même si le patronyme seul, Poutine sans Vladimir, sent un peu sa familiarité, ça ne donne pas envie de rigoler. Le gus est éligible à la tête de la Russie jusqu’en 2036. Son visage et ses idées ne bougent déjà plus tellement. Que sera-ce dans onze ans ?
Le narratif de Poutine ! Le président de l’ex URSS passerait-il son temps à nous raconter des histoires ? Pas des blagues, non, mais des histoires ? Il continue de dénazifier en inondant la planète d’attaques informatiques, de désinformation, de propagande quand D. Trump inonde la planète d’une diarrhée verbale qui laisse le monde coi . Récit, narratif, logorrhée, histoires, enfumage… La narration devient narratif, le substantif qui pose devient substantif qui orne, décore, qualifie, accompagne.
Quand le cru l’emporte, c’est cuit !
Claude Lévi-Strauss intitule la cinquième partie de son livre Le cru et le cuit ainsi : Symphonie rustique en trois mouvements. Elle commence par cette citation de Plutarque : « Mais aussi vois-tu bien que ce ne sont pas contes qui ressemblent fort aux fables vagues, et vaines fictions que les poètes et autres fabuleux écrivains controuvent à plaisir, ne plus ne moins que les araignées qui d’elles-mêmes sans aucune matière ni sujet, filent et tissent leurs toiles, ains est apparent qu’ils contiennent des accidents et mémoires de quelques inconvénients : ainsi comme les Mathématiciens disent que l’arc-en-ciel est une apparence seulement de diverse peinture de couleur, par la réfraction de notre vue contre une nuée : aussi cette fable est apparence de quelque raison qui replie et renvoie notre entendement à la considération de quelque autre vérité. »
Les discours de Vladimir et Donald sont particulièrement crus. Est-ce cuit Estragon ? Attendons-nous encore Godot ?