Yang Yongliang
28 septembre 2024Exposition Yang Yongliang , Imagined Landscapes, organisée à L’Abbaye d’Annecy-le-Vieux par La Fondation Salomon pour l’art contemporain. Vendredis, samedis, dimanches, de 14 à 19 heures jusqu’au 15 décembre. Quelques impressions d’exposition avec le critique Philippe Piguet et le galeriste Romain Degoul.
Philippe Piguet
Les paysages réalisés par Yang Yongliang évoquent tout l’art du Shanshui qui perdure du IV ème au XIIème siècle en Chine. De magnifiques productions graphiques !
Yang Yongliang les détourne ?
Toute l’histoire de l’art se résume par cette formule : « Rien ne se perd, tout se transforme. » C’est une intelligence de l’art prise en charge avec les moyens d’aujourd’hui.
De loin ces paysages exercent une véritable séduction ; de près on réalise que tout est piégé. Ici une ogive nucléaire, là un fusil d’assaut, ailleurs le paysage est saturé de structures qui le constituent et le parasitent à la fois.
Chaque image comporte un danger. Dans cette série, le fusil et le crocodile, ou bien le scorpion et l’ogive. Ces dangers parlent de l’état du monde. Les personnages respirent la sérénité, la sagesse parce qu’ils sont des figures génériques de lettrés. Yang Yonliang lui-même a d’abord une formation de calligraphe selon la tradition chinoise la plus pure.
L’art est toujours contemporain de son époque. Si Yang Yongliang faisait de la calligraphie, ça ne m’intéresserait pas, à moins qu’il ne la métamorphose. L’intéressant est de voir comment il transgresse un mode fondateur de son histoire et de sa culture pour créer avec les moyens d’aujourd’hui quelque chose qui résonne avec la tradition. Qui en est un prolongement. Une reformulation permanente.
L’une des qualités de ce travail est son ampleur et son caractère invasif. Ces images nous débordent, nous inondent. Allez voir le Jugement dernier à la chapelle Sixtine : vous êtes envahi ! Le plafond de la Galerie des Glaces, à Versailles, vous submerge aussi !
C’est ce que l’on appellerait aujourd’hui une expérience immersive ( rires).
Ce n’est pas d’aujourd’hui ! Pensez aux Nymphéas. Se laisser déborder, se laisser envahir. On est dedans. La tradition chinoise, c’est le ciel, la terre et l’homme. Et la relation entre les trois.
On se surprend , devant les tableaux animés de Yang Yongliang à se chercher parmi les passants : à les fixer, on finit par faire partie des paysages.
Romain Degoul
Le nom Yang Yongliang évoquerait plutôt une comédie musicale, mais l’artiste joue une drôle de partition.
Il travaille depuis une vingtaine d’années sur le thème du Shanshui. C’est la calligraphie traditionnelle chinoise inspirée du Shan et du Shui. Le Shan est la montagne, le Shui est l’eau. La montagne, les rivières, des œuvres que l’on connaît depuis les dynasties Song et d’autres, depuis des millénaires.
À première vue ces paysages nous semblent familiers.
Toute la période orientaliste vient nous parler lorsque l’on découvre ce travail. De loin, ces paysages sont des représentations classiques. Plus on s’approche, plus on se rend compte qu’on a affaire à des œuvres d’art contemporaines. Ce sont des milliers d’images superposées, assemblées patiemment les unes avec les autres par l’artiste sur son ordinateur pour parvenir à ces compositions. Yang Yongliang , depuis ses débuts, montre le développement à outrance des grandes métropoles et mégalopoles chinoises. Il est originaire de Shanghai et a vécu ceci dans sa ville natale, un peu comme un traumatisme. Il a besoin d’en montrer les effets dévastateurs.
Il y a ambivalence et ambiguïté à tous les niveaux puisque l’artiste vit de ce qu’il dénonce.
Bien sûr, mais la dimension poétique permet de dépasser ce que vous évoquez. La calligraphie chinoise était la tradition des lettrés, des poètes. L’artiste évoque aussi l’anthropocène, l’écrasement de la nature par le développement urbain.
Que se passerait-il si l’homme n’existait plus ?
Les effets dévastateurs de l’activité humaine constituent ces tableaux, mais l’homme lui-même y est très peu représenté.
Impressions de Talpa
Il y a un intérêt particulier à proposer cette exposition qui traite de montagne et d’eau dans un cadre annécien. Les sages et lettrés représentés dans certaines œuvres pourraient aussi faire penser à des sortes d’autoportraits. L’immense fresque montrant un paysage comporte elle-même l’une des nombreuses clés du travail de l’artiste : une langue de terres agricoles et de friches prise en sandwich, comme en suspension, entre deux tranches de villes saturées. La nature devient alors quasiment virtuelle, nuage pris entre deux mastications industrielles en équilibre fragile, entre construction et destruction. Métaphores de nos vies.
PS
Les photos ne rendent absolument pas compte de la qualité de l’accrochage. C’est au milieu de l’exposition qu’on peut en vivre l’atmosphère et en la parcourant que chaque détail participe à l’ensemble. Les tableaux animés échappent à toute description.