Mauvaise foi
22 août 2023Plongez dans la mauvaise foi
Les lignes qui suivent, tirées du Petit traité de métaphysique sociale de Jean-Philippe Domecq peuvent aussi bien s’appliquer au monde conjugal, qu’au monde professionnel ou politique.
« Cherchez à quel intérêt répond l’indignation, vous trouverez l’exaction-proportionnelle à l’indignation. »
« Machine fascinante que la mauvaise foi, inventive en diable, d’une fine logique aux maillons infinis, parfaitement huilée – peu d’hommes en sortent entiers – une mécanique si précise, si subtile, omnipotente et menue pourtant, ingénieuse vraiment, raffinée, délicate, écrasante, puissante, épuisante, épuisant qui n’en veut, car continue, continuelle, circulaire et actionnée par tous et tous à l’infini…
Écoutons un peu tourner l’universelle manivelle :
_ Dès que nous savons le mal que nous avons fait à quelqu’un, nous ne voulons plus le savoir.
_ Une fois que c’est fait, autant l’ignorer : il s’agit de préserver le bénéfice de la faute.
_ Résultat : plus nous savons notre faute, moins nous l’avons commise… »
« Le réel rien que pour soi c’est la folie, il n’y a de réelle que la version partagée du réel…Or le couple c’est deux regards (à peu près) ; il en manque un pour faire une majorité…
Il suffit donc à l’un des deux de connaître la faille par où l’autre peut s’en laisser imposer sur « le » réel…pour y fourrer sa version à soi de leurs relations…
Le couple
D’ailleurs il n’y a qu’à voir : tout couple bien désaccordé l’est au profit de l’un des deux, c’est le plus tenace, le plus borné. Le dominé est généralement le plus fin parce que la finesse, donnant l’idée de ce qu’il y a au-delà de ses propres œillères, donne honte de toujours débiter la même version. »
« C’est n’avoir décidément rien compris aux hommes, que de lutter contre la mauvaise foi d’un interlocuteur ; plus on s’y épuise, et plus on la nourrit. »
« Spectacle gênant, tant il révèle de bêtise morale, que de voir un homme intelligemment démontrer la mauvaise foi adverse. Ne voit-il pas que, pendant qu’il a raison, il lui donne autant de raisons ? »
En politique
On peut souvent se demander si les responsables politiques croient réellement ce qu’ils disent, et s’il ne vaut pas mieux qu’ils mentent effrontément, consciencieusement, le mensonge leur donnant au moins la profondeur du calcul, même si celui-ci est souvent grossier. Comme cette mauvaise foi s’exprime aussi bien dans le domaine « amoureux » que politique, le bon peuple auquel les élus prêtent toutes les opinions qui les arrangent ne dénonce que très rarement les dérives de ses représentants parce qu’il s’y reconnaît lui-même ; s’il exigeait davantage des dirigeants, il serait obligé, par contre coup, de se remettre en question. La commune médiocrité est rassurante.
Suivant les tendances
On notera que deux grandes tendances politiques, la gauche et la droite, présentent la même configuration qu’un couple, autorisant ainsi à chacune des deux lignes politiques toute la mauvaise foi possible, chacune connaissant à merveille « la faille » de l’autre en matière de réel.
Il est même possible de retrouver ce mode de fonctionnement au sein d’un même parti, la composante la plus bornée s’affichant comme la plus décomplexée.
Mauvaise foi et stupidité
Notons que la mauvaise foi et la stupidité sont sœurs siamoises, comme le prouve cette citation extraite du livre de Carlo M. Cipolla Les lois fondamentales de la stupidité humaine « L’activité et les mouvements d’un être stupide étant par nature erratiques et irrationnels, toute défense s’avère problématique, et contre-attaquer est extrêmement difficile, comme si l’on essayait de tirer sur une cible capable des mouvements les plus improbables et les plus incongrus. C’est à quoi pensaient Dickens et Schiller lorsque le premier déclarait que « l’homme peut tout affronter, armé de stupidité et d’une bonne digestion », et lorsque le second écrivait que « contre la stupidité les dieux mêmes luttent en vain. »
Quand la stupidité prospère
Grâce à Paul Valéry, on sait désormais que les civilisations sont mortelles. On saura pourquoi en réfléchissant à cette autre citation de Carlo M. Cipolla « Ce serait une grave erreur de croire que le nombre d’individus stupides dans une société sur le déclin est plus grand que dans une société en plein essor. L’une comme l’autre souffrent du même pourcentage de membres stupides. La différence tient à ce que, dans la société la moins performante…Les autres individus laissent les stupides être plus actifs et accomplir plus d’actions… »
Ils tiennent alors le devant de la scène, certains élus, par exemple, se poussant du col, de l’utérus ou du fémur, se gaussant de la normalité non parce qu’elle serait terne et aseptisée mais parce qu’ils ne sont pas sûrs de l’avoir jamais atteinte, parvenus qu’ils sont du parcours social et politique, de l’auto reconnaissance et de la consanguinité qui produisent la confusion entre fellation et inflation. Lorsque « sucer n’est pas tromper » la République devient une marie-couche-toi-là dont les urnes tiennent lieu d’orifices.
L’hérédité
Ne reste aux élus dotés d’un minimum de lucidité qu’à rejoindre le chaud bises médiatique au sein duquel le barbier se croit toujours à Séville, le godet sert les chiffres et pourcentages à la louche, Frog trimbalant sa tronche parmi les autres bestioles de plateaux divers, et les graphiques tenant lieu de réflexion , l’image tuant la réflexion et l’intelligence. Sur ces mêmes plateaux les fils tentent de ressembler à leurs pères, et cette progéniture se retrouve parfois sur les scènes et les écrans héréditaires, crevant son ego comme d’autres leurs irritations acnéiques.
Mauvaise foi et stupidité deviennent alors interchangeables.
Profitez pleinement de ces deux dimensions du bien-être et du lâcher prise.