L’été des charognes
11 octobre 2023L’été est décidément une drôle de saison qui a donné bien des romans. L’été des charognes, est un album réalisé par Sylvain Bordesoules d’après le roman de Simon Johannin paru chez Allia, excellente maison d’édition. On y apprécie, entre autres, les publications de Jean-François Billeter. C’est intéressant parce que Billeter est un spécialiste de Tchouang-tseu et de cette sagesse qui unit le corps et l’esprit pour , répondant à une nécessité intérieure, créer notre liberté.
Tout est réactivité
Le travail de Sylvain Bordesoules traduit cette nécessité de la vie au ras de la survie. Tout se joue en réactivité, dans l’instant. La loi du talion tient lieu de code moral. Vêtements, langue, environnement matériel, relations humaines traduisent cette immédiateté quasi animale.
Aucune transcendance, sinon la poésie
La qualité des illustrations de Sylvain Bordesoules entre parfaitement en écho avec la narration. Tout fourmille d’une grande précision de détails que la force du trait ou la densité des couleurs n’achève pas. Tout est là, sans aucune transcendance.
Ceci nous renvoie à L’éloge du risque d’Anne Dufourmantelle. Elle y écrit. « Le risque crée l’événement. Il donne forme à une singularité, à cela qui n’adviendra qu’une fois… Je propose de nommer « hyperprésence », cette faculté d’être rendu à soi-même par le détour du « ravissement » du doute. » On est alors « extraordinairement là, c’est-à-dire plus tout à fait le même. » C’est de cela que traite L’été des charognes. Et de cela naît une poésie forte, immédiate, en relation totale avec soi, la nature, les autres.
Le gris
Il est plusieurs fois question du « gris ». Peut-être cette zone indéfinissable qui échappe à la conscience, à la maîtrise. Cet intervalle indispensable à l’amitié, à l’amour et à la poésie. Cette « part pour les anges » inutile et fondamentale.
La danse des étoiles
« Et ça m’entraîne partout depuis la vue. Je suis de l’air qu’on aspire. C’est le grand saut enfin. J’ai ma peau qui tire, les os qui se déplacent et partout je sens que c’est parti, ça craque, c’est comme un pont qui me traverse les couilles pour aller en face, alors j’y vais. Je vais pas le rater le pont, je vais leur grignoter les cuisses aux chtoutes qui brillent là-haut ! » [ les étoiles]
Ma bohême
La poésie de L’été des charognes brille sombrement avec celle de Rimbaud. Celui-ci écrit, dans Ma bohême
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
— Petit Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse ;
— Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
Et je les écoutais, assis au bord des routes…
Le texte de Rimbaud est un hymne à la vie empreint de chamanisme et d’animisme. C’est ce qui caractérise les œuvres de Simon Johannin et de Sylvain Bordesoules. La vie est partout, même dans le vide de l’été.