Phatique : à quoi sert le langage ?
19 août 2024Phatique : « Fonction phatique. Fonction du langage dont l’objet est d’établir ou de prolonger la communication entre le locuteur et le destinataire sans servir à communiquer un message. Il y a des messages qui servent essentiellement à établir, prolonger ou interrompre la communication, à vérifier si le circuit fonctionne («Allo, vous m’entendez?»), à attirer l’attention de l’interlocuteur ou à s’assurer qu’elle ne se relâche pas («Dites, vous m’écoutez?»). Dictionnaire TLFi.
Les six fonctions du langage
Les fonctions du langage sont les suivantes :
— expressive (expression des sentiments du locuteur)
— conative (fonction relative au récepteur)
— phatique (mise en place et maintien de la communication)
— métalinguistique (le code lui-même devient objet du message)
— référentielle (le message renvoie au monde extérieur)
— poétique (la forme du texte devient l’essentiel du message) (wikipédia).
Ajoutons-leur la fonction performative qui permettrait d’accomplir dans la réalité le discours en même temps que celui-ci est prononcé. C’est le thème du roman de Laurent Binet La 7° fonction du langage.
Le phatique à défaut du performatif
Notre parole est de plus en plus exubérante et inopérante. Elle est tous zazie mute : plus elle s’exprime, moins elle dit, plus les réseaux se tissent, s’entrecroisent, moins le sens est profond. Seul comptent le flux et le flow qui nous emportent. On échange, on communique, on parle, on s’exprime.
– Quoi qu’a dit ? – A dit rin. – Quoi qu’a fait ? – A fait rin. – À quoi qu’a pense ? – A pense à rin. (Jean Tardieu).. Alors on dit, pour dire, pour maintenir le flux qui nous emporte et sans lequel nous n’aurions pas l’impression d’exister.
En phatique Simone !
Le contact vaut message. Il s’agit d’ailleurs du contact phatique mais aussi géographique, temporel.
» Si tu reviens jamais danser chez Temporel
Un jour ou l’autre
Pense à ceux qui tous ont laissé leurs noms gravés
Auprès du nôtre…chantait » Guy Béart.
Explétif
Alors, du coup, en fait, à la base, en amont, moi je…autant de termes explétifs dont la seule fonction est de nous maintenir, de tenter de nous situer dans le courant de plus en plus rapide des échanges qui ne laisse plus place au stationnement de l’être, de la pensée et des sentiments. « Circulez… » Le monde devient un immense parking qui compterait moins de places que d’occupants potentiels. Il est permis, de temps en temps, d’y faire une pause payante pour se reconnecter, se ressourcer, s’ancrer, revenir aux fondamentaux.
Retour sur soi
Les choses ( celles qu’Éric Chauvier appelle Les mots sans les choses) avaient peut-être commencé avec des expressions comme Ça m’interpelle quelque part. Où, on ne savait pas très bien. Elles prirent de l’ampleur vide avec la diffusion sur les écrans télé de défilés de mode façon noria : une sorte de recherche du mouvement perpétuel. Une métaphore élégante de la recherche perpétuelle de progrès, de croissance, de développement. La vie de plus en plus hors sol ( technologies, métaverse, virtuel et informatique…) nous perd. D’où le besoin de maintenir le contact avec les autres, mais essentiellement avec nous-mêmes. Alors, selfions-nous dans le but de garder, si possible, une image de nous qui nous montrerait que nous sommes là.
Il était une fois…moi
Le selfie correspond à la version moderne de la formule magique « Il était une fois ». Laquelle ? Celle-ci, la seule qui compte. « Once upon the time ». Une fois dans le temps, hors du temps en même temps. Cette fois qui fait que nous sommes le centre d’un monde mouvant qui nous échappe. Fois qui constitue un retour sur soi comme le dit l’étymologie. En latin, vicis ou vicem, d’où vient le mot fois peut être complément du nom, complément d’objet mais pas sujet. Cette fois, il faut dire, raconter ce qu’elle était. En lui donnant un contenu, on justifie son existence. Sinon, a sert à rin. Et celle ou celui qui l’évoque a ser à rin non plus.Vicis, vicem signifiait aussi destinée, retour.
Ni tout à fait la même…
« Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend. » Verlaine
Aurions-nous fondamentalement besoin de nouveauté récurrente ? D’un inédit familier ? D’où la nécessité de garder le lien avec un nous-même toujours différent, « qui me surprend, m’aime et me comprend » ? En fait et du coup, c’est bien possible. L’objectif de ces expressions phatiques serait d’abolir la logique, les causes et les conséquences pour maintenir l’univers permanent d’un conte dont nous serions le héros. Il était une fois…et on met le contact…avec soi, en oubliant parfois les autres.
Clin d’œil
L’illustration a déjà servi pour accompagner un article traitant des Jeux Olympiques. Une vasque mongolfière évoquant le mouvement mais attachée : représentation idéale du phatique qui maintient le contact.