Les mots et la réalité. Créer du sens ou du vide ?

Les mots et la réalité. Créer du sens ou du vide ?

29 avril 2021 Non Par Paul Rassat

Les mots et la réalité

À force de matraquer  le milieu médiatique de mots et d’expressions censés ramener à l’immédiateté de la réalité, ne finit-on pas par nous en éloigner ? Parler vrai à de vraies gens, sans langue de bois. Poser un acte fort. Voir la réalité en face. Autant de formules vides de sens qui assènent du vide. Des éléments de langage, des bribes de pensée, des miettes de conscience. Peut-être une absence de morale.

De quoi débattent des élus, des gens de télévision, des experts sur un plateau télé ? Des problèmes de notre monde ? De l’avenir ? De solutions adaptées ? Ils débattent le plus souvent d’eux-mêmes. «  Moi, je pense que…moi, perso, je… » On a parfois appris à utiliser ses mains, suivi des cours en ce sens. On souligne de la voix telle ou telle absence de pensée qui pourrait toucher le plus grand nombre.

L’expression au kilomètre

Et puis, on assène une pensée au kilomètre. Remarquez le débit verbal d’un Gabriel Attal, porte-parole du Gouvernement. Ce côté mitraillette, capable de contourner toute question, de l’envelopper, de passer de la ligne droite aux circonvolutions de la temporisation. Ajoutez-y cette accentuation de certaines syllabes, une sorte d’ouverture vocale très particulière tellement à la mode. Tiens donc, n’y retrouverait-on pas Sibeth Ndiaye ? N’y retrouve-t-on pas une pointe de Jean-Luc Delarue dans le rythme effréné ? En accord avec l’évolution de la société ? Quoique, à entendre François Bayrou, on peut se dire que la vitesse d’expression n’est pas seule synonyme de lenteur de pensée.

Parler pour parler

Ainsi que l’œil peut souffrir d’un décollement de la rétine, les mots peuvent souffrir d’un décollement de la pensée et de toute forme de réalité. Récemment, à la radio Gérald Darmanin affirmait « Les Français veulent qu’on[Les ministres] fasse notre devoir et pas de la politique. » Or le TLFi nous apprend que la politique est l’ « Art de conduire les affaires de l’État, science et pratique du gouvernement de l’État. » Vous noterez que le Ministre de l’Intérieur sait ce que veulent les Français. Vous remarquerez aussi qu’un ministre est censé, par définition, faire de la politique et que M. Darmanin ne définit pas ce qu’est son devoir.

Mots explétifs

Ajoutez que ce verbiage récurrent s’appuie de plus en plus sur des tics linguistiques qui finissent par devenir des tocs et se transforment en mots explétifs. Des mots qui ne présentent aucun intérêt ni pour le sens ni pour la construction du discours. Des explétifs tels que ces exemples tirés du Gradus de Bernard Dupriez « Saisissez-moi ce petit vaurien. Je vous le traiterai de la belle manière. » Frédérique Vidal déclarait à la radio « Ça permettrait de faire en sorte que… On permet à toutes les personnes qui cherchent un stagiaire de pouvoir se manifester. Ça permettrait de ?…de se manifester ? Ou bien d’autres intervenants «  Faire en sorte que ce lieu puisse…Permettre ? Et puis il est de bon ton d’émailler son propos de « Voila » peut-être hérités du « Well » anglo-saxon, de « Juste » hérités itou de l’anglais, de « Au final » et ainsi de sans suite. À se demander si, par peur du vide, on ne meuble pas son discours de mots eux-mêmes vides de sens parce que la nature aurait peur du vide. Il serait ainsi possible de faire le plein de vide.

La politique sert-elle encore à quelque chose ?

Après la déclaration de Gérald Darmanin, on peut se demander à quoi sert la politique ? Et à quoi servent les politiques ? Seraient-ils devenus des personnages explétifs, tellement coupés de la réalité qu’ils auraient besoin de rappeler en permanence qu’ils la regardent en face ? Des explétifs lénifiants qui joueraient le rôle de lubrifiant social en se donnant en spectacle ? Des lubrifiants censés accroître le plaisir. De qui ?

Désorientation langagière et sexuelle

De plus en plus de femmes disent « Je m’en bats les couilles. » «  Je m’en bats les steacks » est très tendance aussi, même chez les mecs alors que les steacks en question renvoient à l’appareil génital féminin.

Conclusion provisoire

En conclusion, battons le fer quand il est chaud ! Les ministres ne font pas de politique, les femmes s’en battent les couilles et les hommes s’en battent les steacks.

Conclusion : Les mots sans les choses

…La situation d’aliénation paraît sursignifiée lorsque la personne pressent qu’elle est sommée de parler et de penser avec des mots qui ne sont pas les siens. Elle a l’impression d’évoluer dans un appartement témoin, de découvrir que le mobilier ne lui appartient pas plus que ces livres disposés sur les étagères…Il n’y a pas la moindre trace de vie humaine dans ce lieu. Il est désaffecté comme la langue de celui qui essaie de reprendre la parole. Cette prise de conscience se prolonge généralement en léthargie. Car pour espérer se socialiser, l’être humain occidental doit désormais apprendre à tolérer ce langage désaffecté.

Éric Chauvier Les mots sans les choses