Les gens, l’homme, Jacques A. Bertrand
5 décembre 2024« Il faut être indulgent avec l’homme, suggérait Alphonse Allais, si on considère à quelle époque il a été créé. » C’est ce qu’écrit Jacques A. Bertrand dans Les sales bêtes. Jacques A. Bertrand qui affirmait : « Il faut faire confiance aux gens. À qui d’autre pourrions-nous faire confiance ? » Souvenirs d’interview avec ce phisanthrope.
Si l’on rapproche certains de vos titres, Tristesse de la Balance, J’aime pas les autres , Les sales bêtes, Les autres c’est rien que des sales types…le second degré s’impose immédiatement.
Oui bien sûr. Ce sont des boutades. J’aime pas les autres, c’est plutôt une boutade enfantine.
D’un de vos livres à un autre, on a l’impression de continuer une conversation avec vous car vous y mettez beaucoup de vous-même, plus de pensée que de fiction.
C’est une interprétation qui me semble tenir. Je ne suis pas un écrivain naturaliste. Bien sûr j’ai écrit des romans, avec certaines références autobiographiques. Quand j’écris des romans comme La course du chevau-léger ou Je voudrais parler au directeur, ce ne sont pas des romans naturalistes. Les personnages sont emblématiques, ils sont là pour exprimer, pour représenter quelque chose. Le roman roman ne m’intéresse pas vraiment, quelques fois en tant que lecteur, mais pas en tant qu’écrivain. Quand je suis content d’un feuillet que je viens d’écrire, que j’ai relu, que j’ai peaufiné, l’impression qui me fait dire « C’est bon », c’est l’impression d’avoir réussi à placer un message physique sur une longueur d’onde, sur la bonne longueur d’onde avant même d’être lu par quiconque.
Beaucoup d’écrivains, de philosophes se sont intéressés à la bêtise. Vous avez écrit de très belles choses sur ce thème.
En dehors de la beauté de certaines lumières, certains matins, ce qui me frappe le plus, passant par la radio, les journaux, la rue, c’est la bêtise. Le grand sujet d’étonnement est de voir qu’elle va toujours plus loin que ce qu’on croyait. Il faut citer ce mot de Renan : « Quand je veux avoir une idée de l’infini, je me penche sur la bêtise ». Tout ce qu’on peut imaginer de pire, l’homme l’a fait ou se prépare à le faire.
Mais vous ne vous en excluez pas…
Bien sûr, parce que c’est la condition humaine. J’essaie de participer cependant le moins possible à la bêtise universelle.
L’écriture est peut-être un moyen d’y échapper ?
D’être plus réfléchi, en tout cas.
J’écris court mais longuement, je cherche longtemps le ton, la musique, le diapason d’un texte. Vous me disiez qu’il faut me lire lentement, page par page. Un lecteur reprochait à un philosophe allemand « Dites donc, votre dernier livre, c’est ardu! J’ai mis huit jours à le lire. » L’auteur lui a répondu « Vous auriez dû mettre deux ans puisque j’ai mis deux ans à l’écrire. »
Photos : Jacques A. Bertrand à la fête du livre de Talloires et comme un papillon dans la lumière.