Bitcoin, crypto-monnaies

Bitcoin, crypto-monnaies

27 décembre 2024 0 Par Paul Rassat

Rencontre avec Cyrille, co-fondateur de l’association AlpineChain / Annecy pour débroussailler le terrain en matière de Bitcoin, de crypto, et de réflexions morales ou philosophiques associées à ces monnaies alternatives.

L’origine

— Le point de départ des crypto-monnaies ? C’est le Bitcoin, ce que Satoshi Nakamoto a proposé dans un livre blanc le 30 octobre 2008. On peut le définir comme l’unicité sur internet ; le droit de propriété. Il s’appuie sur des concepts développés depuis le début de l’internet de la cryptographie et plein d’outils issus de recherches scientifiques.

(Bitcoin avec grand B est le protocole, et bitcoin avec petit b est le jeton associé (la monnaie). Petit jeu : replacez majuscules et minuscules en fonction du contexte.

Quarante ans d’évolution.

Exactement.  Et puis, pour parler de la philosophie du Bitcoin,  il se réfère aux « cypherpunks,  des mathématiciens, des cryptologues d’un très haut niveau qui ont compris assez tôt le potentiel du numérique et d’internet, le basculement à venir de la société dans le monde numérique, basculement qui se produit aujourd’hui. Cette évolution s’accompagne d’enjeux différents comme, en premier lieu, protéger l’intégrité des personnes dans l’univers numérique.

La révolution cryptographique

C’est bienveillant.

Oui, mais c’est un combat. Ces gens ont voulu que la cryptographie protège le secret de la correspondance, l’intégrité numérique de chacun. Le problème d’internet est qu’il permet de dupliquer toute information. C’est comme Gutenberg qui invente l’imprimerie. Celle-ci a permis de diffuser la connaissance alors qu’auparavant une seule personne décidait de ce qu’il était permis de diffuser : la connaissance, l’information et donc la culture. L’imprimerie a permis la création des journaux.

Oui, les créateurs d’internet via Arpanet ( DARPA 1966) étaient conscients de la portée de cette innovation.

«  Crypto » signifie caché. Que cachent les crypto monnaies ?

Rien n’est caché, une partie est chiffrée, comme dans tous les usages d’internet suivant l’usage du HTTPS. Ceci permet, dans le domaine de Bbitcoin,  de créer des condensats (hash en anglais) qui transforment une multitude d’informations dans une suite alpha numérique à longueur fixe. Le format est fixe mais chaque condensat est unique, extrêmement difficile à produire car une forme particulière (commençant avec un certain nombre de 0 par exemple) mais très facile à vérifier. Une force de travail est nécessaire pour y parvenir. Difficile à créer, je le répète, mais tu peux facilement vérifier qu’il comporte bien les informations que tu y as mises.

Le travail

Tu parles de travail. Quelle définition en donnes-tu ?

C’est une dépense d’énergie. Tu peux projeter ce que tu souhaites dans le travail, à la fin, c’est une action produite en vue de… qui consomme une énergie physique, intellectuelle. C’est un concept de thermodynamique qui convient à l’ensemble de nos activités, qui sont de la transformation d’énergie. Dans le numérique, cette transformation d’énergie, le hachage, s’effectue par une machine.

Dans le Bitcoin, la preuve de hachage et la preuve de travail incitent les personnes à mettre en jeu du matériel, comme des ordinateurs, et de l’électricité pour trouver un chiffre au hasard commençant par un certain nombre de 0 selon une difficulté pré-définie et ajustée par le protocole pour conserver une régularité de création de blocs toutes les 10mn,  afin de sécuriser le protocole et recevoir en récompense les jetons nouvellement créés et les frais de transactions à l’intérieur de chaque bloc.

La liberté

Quel est l’intérêt de créer et de posséder ce type de monnaie ? Une forme de liberté, d’anonymat ?

C’est tout l’enjeu. La liberté et la responsabilité qu’elle implique. Tu obtiens l’accès à une information unique  et dont tu es le seul propriétaire. Cette information est la représentation d’une fraction de bitcoin créé au fil du temps par les mineurs. Ceci nous renvoie à la problématique de création et de diffusion d’une monnaie. Cette fraction que tu détiens à une valeur qui va te permettre de l’échanger. Personne ne peut t’empêcher de le faire car les transactions se font de pairs à pairs.

On a beaucoup glosé sur l’usage que les méchants ont pu faire du bitcoin. C’est plutôt bon signe. Ceux qui veulent échapper au système ont testé cette technologie et l’abandonnent parce qu’elle ne leur  permet pas autant d’anonymat que le système financier actuel.

Quand Julian Assange et WikiLeaks ont sorti les informations sur les USU, la surveillance, la première chose qui a été faite a consisté à leurs couper les fonds. Visa, Mastercard…Toute une mécanique s’est lancée de la part des États afin de se protéger eux-mêmes. Alors que Satoshi Nakamoto trouvait qu’il était trop tôt pour ce type d’opération, Julian Assange a demandé des financements en Bitcoin, et c’est grâce à eux qu’il peut survivre. Bitcoin permet aussi l’existence de projets alternatifs comme Sci-Hub, un site qui met à disposition librement des études scientifiques.

Il y a une dimension utopique dans cette monnaie ?

Pas utopique, un côté dissident par rapport à l’ordre établi, contre les verrous qui empêchent la diffusion de la connaissance, l’échange direct entre les gens parce que nous vivons dans une société qui tend vers beaucoup de contrôle. Bbitcoin te permet d’avoir accès directement à la valeur sans que personne ne puisse t’en empêcher.

L’usage

Si le premier objectif d’un détenteur de bitcoin, comme pour toute monnaie, est une forme d’enrichissement personnel espéré, il y a donc en plus toute cette philosophie, cette vision de la société.

Deux PC pourraient suffire à faire fonctionner le protocole. Je participe à la sécurisation du protocole et, en retour, je vais gagner de l’argent. C’est une forme de spéculation, oui ; comme tu espères avoir du soleil pendant tes vacances à venir davantage que de la pluie. Tout est spéculatif, les gens n’agissent que pour eux-mêmes.

En lui-même, l’outil ne projette rien. Un marteau est lui aussi un outil. Tout dépend de l’usage que tu va en faire, planter un clou, défoncer le crâne du voisin.

Ou bien une chanson. 🙂

Je disais que des malfrats ont utilisé le bitcoin. Est-ce que c’est bien ou non ? Est-ce que Wiki Leaks et Edward Snowden sont des méchants ou non ? C’est la dimension morale que l’on peut ajouter à l’outil.

La spécificité du Bitcoin

C’est là que je veux insister sur une différence propre à Bitcoin. Sa mécanique est à la fois unique et reproductible. Beaucoup l’ont utilisé pour le reproduire avec une petite variante : c’est la technologie  blockchain. Quand tu entends cette appellation, tu sais déjà qu’il y a un loup dans la bergerie. Dans l’univers de la « crypto », beaucoup te disent qu’ils ont trouvé un moyen de révolutionner, ils te construisent une histoire, un narratif, pour t’attirer. C’est le cœur de tout ce système qui existe à côté de Bitcoin. Ils utilisent ce qui a été créé pour te vendre quelque chose d’autre. Tous les projets utilisent la même problématique, ils ont différents moyens de sécuriser. Chaque fois il y a un protocole de sécurité unique, mais ce qu’on te vend, c’est autre chose. L’un des narratifs est « Tu vas être propriétaire d’une image », ce que l’on a appelé les NFT ( non-fungible token). Ce narratif est basé sur la tromperie. On te dit que tu es propriétaire d’une image qui se trouve sur un site Web. Elle est numérotée et devient comme un billet de 50 euros. Mais tout le monde peut reproduire cette image, elle n’a donc aucune valeur. Et si le site disparaît… Toute une industrie se crée autour de ce concept, d’autres usages vont apparaître, utiles par certains aspects, mais discutables quant à l’énergie utilisée pour parvenir à ce résultat.

C’est l’équivalent d’une niche.

Exactement. De même, on peut penser aux signatures notariales et à d’autres usages d’ancrage de données pour lesquelles, en réalité, on n’a pas besoin de token.

C’est une façon de se référer au rasoir d’Ockham qui peut se résumer ainsi : «  Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?

Le token qui t’est donné pour créer ton droit de propriété n’est pas forcément utile pour les actes notariaux, par exemple. L’une des possibilités premières que t’offre le bitcoin est de pouvoir ancrer une donnée dans le temps (timestamping)mais ce droit de propriété s’exerce seulement au sein même du réseau pour prouver que la donnée a existé à partir de ce moment. L’acte notarial n’a pas besoin de token ! Une base de données distribuée avec un consensus au sein d’entreprises qui ont des enjeux différents suffit.

La notion de confiance

C’est là qu’il y a un biais entre ce que le bitcoin t’autorise et ce que promet le reste des crypto. Un autre aspect de Bitcoin est qu’il repose sur l’absence de confiance. Le protocole précise que l’on peut effectuer des transactions sans confiance, même entre ennemis. Le bitcoin est alors ce tiers de confiance qui permet d’effectuer la transaction grâce à son insécabilité basée sur des fonctions mathématiques. Pour autant, cela n’empêche en rien que la confiance est essentielle dans le fonctionnement d’une société.

Si tu as des carottes qui n’ont pas encore poussé et si tu as besoin du poulet qui est chez moi, nous avons besoin d’échanger. Comment faire ? C’est là qu’apparaît le besoin de monnaie.

Le bitcoin est de la cuisine ! (rires)

Une théorie dit que la monnaie, c’est de la dette. La confiance que tu portes à l’autre en sa capacité à te rembourser. La monnaie te permet  d’échanger sans confiance, c’est vraiment là qu’il y a création de valeur ; mais n’empêche, la confiance, j’y reviens, est indispensable pour créer une société, pour vivre ensemble.

C’est donc mieux quand à l’outil s’ajoute la confiance ; à défaut l’outil seul permet les transactions.

Cyrille me fait remarquer que nous avons déjà abordé beaucoup de sujets sans les approfondir véritablement.  Disons que c’est une entrée en matière, et que de nouvelles conversations s’imposent.

Agir en même temps pour soi et pour les autres

Qu’est-ce qui t’a mené vers le bitcoin ?

Une forme d’esprit rebelle et la volonté de sortir des sentiers battus. J’ai eu une formation rigoureuse dans un cadre militaire et bienveillant, formateur sur la pensée critique. Dans le cadre de l’armée, contrairement aux préjugés, l’humain est le plus important. La confiance est indispensable. Le fonctionnement est comparable à ce qui se passe avec Bitcoin : tu fais collectivement le bien parce que tu agis d’abord pour toi-même, ta survie. Je suis en train d’approfondir ma réflexion sur les liens entre la liberté et la responsabilité. La liberté peut faire peur parce qu’elle s’accompagne d’une extrême responsabilité.

Cf  l’Existentialisme, La Boétie et Le discours de la servitude volontaire

Cette conversation avec Cyrille a déblayé un peu de terrain. Restent d’autres chemins de découverte et de réflexion à suivre avec lui.