Conditionner la culture
22 février 2025Si on la laisse aller, la culture va. Elle va même parfois n’importe où, ce qui est risqué. C’est pourquoi il faut conditionner la culture. La tenir en laisse. Elle prend fréquemment du poids, fait de la graisse, il faut donc régulièrement la mettre au régime. Ici on coupe dans le budget, là on taille, ailleurs on tranche. On débite la culture , on la vend à la découpe. Pas grave. L’événementiel prend la place laissée vacante, enfle, gonfle, remplit de vide les médias, les festivals, les scènes.
La culture, c’est comme l’administration. Heureusement qu’elles existent afin de tailler dedans en période de disette et d’économies forcées. « Dégraisser le mammouth » disait l’autre. « Mammouth écrase les prix, Mamy écrase les prouts » répondait en son temps Coluche. Il paraît que la culture « C’est ce qui reste quand on a tout oublié ». Ben non, c’est ce qu’on pénalise en premier.
Tailler dans la culture
À la suite de longues recherches, Talpa a réussi a rassembler quelques outils utilisés par les affameurs de la culture, les tortionnaires. De quoi alléger le poids de la culture pour les finances. Scies, couteaux pour culture fraîche, congelée. Petit couteau à découper un pétale de culture. Vous avez remarqué ? Le mot pétale est tendance. Il présente la sordide réalité comme une fleur. Les quartiers de nos villes sont transformés en pétales. Ce qui est un contre-sens, puisque les pétales forment un tout harmonieux qui constitue la fleur, alors que les pétales des plans de circulation demeurent séparés les uns des autres. Il y a aussi les « pétales de saumon. »
Fines tranches qui renouvellent le concept de carpaccio. La culture se râpe à l’occasion. De fins copeaux sur une gamelle d’événementiel gonflée aux exhausteurs de goût, rehaussée de colorants artificiels. Sans oublier les conservateurs permettant de resservir plusieurs fois le même plat.
Les Barbares
Quelques phrases tirées du livre d’Alberto Manguel La cité des mots : « Pour l’immense machinerie économique qui gouverne notre société dans tous ses aspects…nous sommes des Barbares. Telle semble être l’identité qui nous attend.
À force de rechercher des structures dans lesquelles nous puissions être ensemble, nous avons peut-être abouti à des sociétés des bénéfices desquelles nous semblons tous destinés à être exclus.»
Le récit-monnaie
Tous exclus ? Non. Voici ce que dit Jean-François Lyotard dans Instructions païennes : « Le capitalisme est à peu près indifférent aux contenus des récits dont il autorise la circulation, il ne l’est pas à la forme de leur pragmatique. Le récit-monnaie est son récit canonique parce qu’il rassemble les deux propriétés : il raconte qu’on peut raconter n’importe quoi, mais que le bénéfice des récits doit revenir à leurs auteurs. »
L’auteur souligne alors que la deuxième caractéristique de ce type de récit est sa relation au pouvoir. La culture étant souvent une forme de contre pouvoir quand elle ne relève pas du divertissement pascalien, il est parfois bon de la rappeler à l’ordre, de la mettre au pas et au régime.
La culture en carpaccio
— De la culture ? Oui, je vous en mets dix tranches. Très fines, oui. Ah, c’est pour servir en carpaccio !
— Oui, nous voudrions goûter pour voir si ça nous plaît. La culture, vous savez, ce qu’on en dit, ça rend prudent. On ne voudrait pas s’étouffer.
— Je vous les emballe?