Chemin et IA
11 avril 2025Afin d’aborder les dangers de l’IA, pourquoi ne pas prendre certains détours ? L’intelligence artificielle va droit au but alors que, bien souvent, le chemin vaut autant que la destination. Le chemin et l’IA ?, telle est la question.
Le chemin
Rencontré à l’occasion de la sortie de son film Fortuna, Germinal Roaux confiait :
« Un jour, avant le tournage, sous la douche, j’essayais de me souvenir des films qui m’avaient vraiment marqué en établissant une comparaison avec toutes les séries que j’avais pu voir pendant des heures et dont il ne me reste rien. Les films qui m’ont le plus marqué sont ceux qui, sur le moment, ont été les plus difficiles, ceux qui m’ont demandé un engagement. C’est ce qui m’a aidé à faire confiance au spectateur, à l’intelligence et au vécu de chacun pour établir une relation entre ce qu’on lui montre et ce qu’il reçoit. Pour cela il faut du temps et de l’espace. Je pars de ma sincérité, de ma langue qui est le noir et blanc. Les questions qu’aborde le film sont très personnelles. Je me suis dit que c’est ce qui permettrait d’être entendu. »
Les dangers de l’IA
On débat beaucoup actuellement de l’intelligence artificielle, des progrès fulgurants qu’elle apporte et des dangers tout aussi phénoménaux qu’elle comporte et entraîne. Manipulations, désinformation, concentration du pouvoir… Il faudra enseigner d’une autre façon afin d’éviter que les élèves et les étudiants fassent du copier / coller. On développe des logiciels qui détecteront le recours à l’IA. Se met en place une batterie de moyens technologiques afin de maîtriser autant que faire se peut l’utilisation de l’intelligence artificielle.
La lune et le doigt
Il est souvent amusant et pertinent d’inverser le point de vue. Le problème, ce n’est pas l’IA, c’est nous. Ce que dit Germinal Roaux, c’est que le chemin compte autant que le résultat. Un récent débat sur la question reléguait cette question à la dimension judéo chrétienne de l’effort. La n’est pas la question. Si tu parcours et découvres le chemin toi-même, avec quelques détours, essoufflements, et haltes imprévues, le parcours restera gravé en toi. Si on te dépose à destination en hélicoptère, tu auras été émerveillé par le paysage…et ? Alors que l’on parle jusqu’au gavage d’expérience personnelle, d’immersion, l’IA court-circuite toute cette dimension.
Retour à Rousseau
« Je ne conçois qu’une manière de voyager plus agréable que d’aller à cheval ; c’est d’aller à pied. On part à son moment, on s’arrête à sa volonté, on fait tant et si peu d’exercice qu’on veut. On observe tout le pays ; on se détourne à droite, à gauche ; on examine tout ce qui nous flatte on s’arrête à tous les points de vue. Aperçois-je une rivière, je la côtoie ; un bois touffu, je vais sous son ombre ; une grotte, je la visite ; une carrière, j’examine les minéraux. Partout où je me plais j’y reste. À l’instant que je m’ennuie, je m’en vais. Je ne dépends ni des chevaux ni du postillon. Je n’ai pas besoin de choisir des chemins tout faits, des routes commodes ; je passe partout où un homme peut passer ; je vois tout ce qu’un homme peut voir ; et, ne dépendant que de moi-même, je jouis de toute la liberté dont un homme peut jouir… Vos philosophes de ruelles étudient l’histoire naturelle dans des cabinets ; ils ont des colifichets, ils savent des noms, et n’ont aucune idée de la nature…J’ai toujours vu ceux qui voyageaient dans de bonnes voitures bien douces, rêveurs, tristes, grondants ou souffrants ; et les piétons toujours gais, légers, et contents de tout. Combien le cœur rit quand on approche du gîte ! Combien un repas grossier paraît savoureux ! Avec quel plaisir on se repose à table ! Quel bon sommeil on fait dans un mauvais lit ! Quand on ne veut qu’arriver, on peut courir en chaise de poste, mais quand on veut voyager, il faut aller à pied. »
De l’intelligence artificielle à la société artificielle
L’IA est véritablement utile pour certains usages. Mais elle est, comme le GPS, la fusée et une sorte d’automatisation qui nous coupe de l’ « idée de la nature ». Nous nous plaignons que nos élus traitent de dossiers au lieu de personnes (les vraies gens). Ils traiteront de dossiers établis par l’intelligence artificielle et en résultera une société artificielle, une politique artificielle et même une écologie artificielle.
On en voit déjà des exemples frappants et assommants.
Retour sur le film de Germinal Roaux
Voici un extrait de la critique écrite à la sortie du film.
« Fortuna ne montre pas le voyage migratoire parce que celui-ci ne s’arrête pas aux rivages de l’Europe ou d’ailleurs, il continue dans le corps et dans l’esprit de ceux qui l’ont vécu. Là est peut-être la véritable frontière avec les « pays d’accueil ».
Fortuna fait naître en nous la sensation que nous sommes tous migrants en ce monde, que les autres, fuyant leurs pays, déplacent nos propres frontières morales, philosophiques ,religieuses, citoyennes, questionnent la légitimité indiscutable de nos lois, nous demandent qui nous sommes et nous forcent à évoluer pour renaître avec eux.
Les autres nous questionnent et font de nous (ou non) des êtres humains. » S’il y en a qui gardent la trace du chemin en eux, ce sont les migrants.
Quel chemin ?
Puisque de chemin il est question, le plus court n’est pas toujours le meilleur. C’est ce que montre ce Que puis-je faire pour vous ? extrait d’Une histoire érotique de la psychanalyse écrit par Sarah Chiche.
« En 2017, la société Apple fit publier sur son site Internet une annonce à la recherche d’un ingénieur ayant aussi un diplôme de psychologie pour rendre Siri, son application de commande vocale qui répond aux requêtes des détenteurs d’iPhone, capable d’avoir des « conversations sérieuses ». Apple y expliquait que les détenteurs d’iPhone ne se connectent pas uniquement sur Siri pour lui demander, par exemple, le temps qu’il fera demain ou l’adresse d’un restaurant. Il arrive fréquemment, quand ils sont seuls et désemparés, qu’ils parlent à Siri de leurs problèmes personnels. À plusieurs reprises, Apple a été accusée de n’avoir pas su prévenir le suicide de ses clients. Quand les usagers d’iPhone disaient à Siri vouloir se jeter du haut d’un pont, l’application vocale leur indiquait comment se rendre au pont le plus proche. »