L’Éditaupe #16 Justice, le goût change suivant la recette
10 mars 2021Recette de justice
Il est des palais plus affinés que d’autres en matière de justice. Celle-ci s’en trouve tour à tour amère, douce, croustillante, salée. Tout est affaire de cuisine. En la matière, la taupe vous suggère une recette :
Pour que la justice ne balance pas et ne soit pas un fléau choisissez deux avocats en fonction de la couleur de leur robe; foncée et plissée, celle-ci traduit une plus grande maturation. L’un jouera l’attaque, l’autre la défense. Procurez-vous un procureur. Afin d’obtenir des échanges performants, techniques et spectaculaires, évitez un parquet trop glissant. Un expert, un juge par exemple, vous donnera les instructions nécessaires. En cas de participation étrangère, envisagez les cas d’expulsion. N’hésitez pas à interrompre le jeu. Demandez quelques minutes de réflexion afin de changer de stratégie, rechercher l’exploit qui mènerait à l’absolution, éviterait les barreaux et l’arrêt définitif. En fin de partie, n’oubliez pas de rendre la justice: d’autres en auront besoin.
Parti pris
Nicolas Sarkozy vient d’être condamné à de la prison ferme et avec sursis. La taupe ne fait pas de fixation particulière sur l’ex-toujours-peut-être encore Président mais c’est un homme qui donne à voir et à entendre. Certains se réjouissent de cette condamnation, d’autres la condamnent et le soutiennent. Tout ceci prouve une fois de plus que la vérité est affaire de convention et souvent rapport de force.
Ollier Ollier, bonnes gens !
Deux jours avant une émission télévisée qui accueillait François Hollande, quelques élus se prêtaient à un drôle de jeu : parmi eux, Patrick Ollier (le compagnon de Mam Innova) et Benoist Apparu donnaient par anticipation leur avis critique sur l’intervention à venir du chef de l’Etat. Belle performance, madame Irma ! Qui nous émerveille ! madame Soleil ! Vérité et justice sont toutes tracées, de droite ou de gauche, selon son parti et son clan.
Présomption de culpabilité
Les partisans de Nicolas Sarkozy ne cessent d’invoquer la présomption d’innocence tant que l’affaire n’est pas passée en appel. Ce qui interpelle. D’après le TLFi, dictionnaire de référence, présumer signifie « croire d’après certains indices, se faire une conviction sans preuve, considérer comme probable ». Ainsi, présumé innocent, Nicolas Sarkozy le serait sans preuve, sur une simple conviction. C’est d’ailleurs ce que reprochent ses avocats au jugement qui le condamne. Il ne reposerait sur aucune preuve mais sur un faisceau d’indices.
Nous laisserons de côté l’interprétation du verbe présumer qui signifie « se faire une trop haute idée de ses propres capacités ». Plus familièrement « péter plus haut que son cul ».
Présumer quelqu’un innocent sur un faisceau d’indices, sans preuves, sur sa bouille, sur une amitié n’a aucun sens ! Non. En revanche une personne peut être présumée coupable. À charge pour la justice de prouver cette culpabilité. Il est réellement impossible de présumer quelqu’un innocent puisque chacun est réellement innocent tant que sa culpabilité n’est pas prouvée. Sauf peut-être en régime totalitaire.
Comme un boomerang
Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.
Albert Camus
C’est ajouter aussi à l’injustice. Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Intérieur s’était réjoui de l’arrestation d’Yvan Colonna « assassin du Préfet Érignac » avant tout jugement. Michel Poniatowski, lui aussi ministre de l’Intérieur, avait désigné l’assassin de Jean de Broglie. La France avait été condamnée par la Cour Européenne pour manquement à la présomption d’innocence dans la deuxième affaire.
« La raison du plus fort est toujours la meilleure »
Telle est la morale de la fable de La Fontaine « Le loup et l’agneau ». Nous revenons ainsi à notre rapport de force…dont les termes peuvent évoluer au cours d’une vie. Parfois le loup devient involontairement agneau. Qu’en est-il des magistrats petits pois que dénonçait Nicolas Sarkozy ? Demeurent-ils extra-fins quant à leur objectivité alors qu’ils prennent la décision de le mettre en boite ?
Le fléau de la justice
La taupe a vu, lors d’un procès, un avocat se gratter vigoureusement les testicules sous sa robe. Une présidente de tribunal de commerce bavarder avec un avocat qu’elle tutoyait sous le nez de la partie adverse. Elle l’entendrait quelques instants plus tard dans l’affaire qu’elle jugerait. Et cet irascible vieillard piquant des crises à Aix-en-Provence lors d’un procès pour trafic de drogue il y a bien longtemps. Comme ce magistrat convoquant une dame. Elle avait porté plainte sur le conseil de sa banque. Erreur et plainte retirée. Convocation cependant chez ce magistrat qui inflige un blâme pour « déclaration mensongère » (confusion entre erreur et mensonge !). Il déclare soudain changer de casquette, redevenir simple citoyen et demande à la dame si elle ne serait pas plus utile dans son pays d’origine. Deux casquettes mais pas une seule tête bien faite.
Mise en scène
Beaumarchais est passé des mécanismes de montres et de pendules aux procès et aux pièces de théâtre. Il avait compris qu’un procès réagit aux mêmes ressorts qu’une pièce de théâtre. Il suffit de les connaître. En s’adressant au public davantage qu’à ses juges il démontait les mécanismes de la justice et en montrait les limites.
Quant à Molière, il écrit
Eh, Monsieur, de quoi parlez-vous là, et à quoi vous résolvez-vous? Jetez les yeux sur les détours de la justice. Voyez combien d’appels et de degrés de juridiction; combien de procédures embarrassantes; combien d’animaux ravissants par les griffes desquels il vous faudra passer, sergents, procureurs, avocats, greffiers, substituts, rapporteurs, juges, et leurs clercs. Il n’y a pas un de tous ces gens-là, qui pour la moindre chose, ne soit capable de donner un soufflet au meilleur droit du monde.
Les Fourberies de Scapin II,5
» Selon que vous serez puissant ou misérable… » car bien souvent on se fiche des faits. Voir à ce propos La dent d’or de Fontenelle