Série En thérapie, l’avis d’un psychanalyste

Série En thérapie, l’avis d’un psychanalyste

11 mars 2021 Non Par Paul Rassat

Fiction/Réalité

 Patrick Avrane — Il s’agit d’une fiction mise en scène. Il n’y aurait rien de plus rasoir que de filmer une séance de psychanalyse. Le résultat n’est pas faux mais aussi loin de la réalité qu’une série qui parle d’avocats, de médecins ou de policiers. La qualité de la réalisation donne cependant l’impression que c’est la réalité. Ça tient au scénario, aux acteurs et au fait qu’il n’y a pas de grossières erreurs.

Vous vous reconnaissez dans le personnage incarné par Frédéric Pierrot ?

Oui et non. On peut se reconnaître en lui, mais quatre ou cinq épisodes condensent plusieurs années de cure. Ceci le pousse à parler beaucoup, parfois à la place de son analysant. Le propre de ce que dit l’analyste est d’être ce que commence à comprendre l’analysant.

On a effectivement l’impression que l’analyste intervient beaucoup.

La série s’appelle « En thérapie ». Lorsqu’un analyste reçoit un couple, comme dans cette série, ce n’est pas une analyse. La démarche est différente.

L’intérêt de certaines libertés

L’originalité de cette série est de montrer ce qui se passe en-dehors du huis clos des séances. En particulier lorsque le psychanalyste rencontre puis va consulter sa « contrôleuse ».

Là on peut parler d’erreur. Les analystes n’ont de contrôleur ou de superviseur qu’au début de leur pratique. La période de contrôle est liée à une formation. À l’âge de cet analyste, ça n’a pas vraiment de sens.

Ce volet de la série permet peut-être de montrer qu’il y a des comptes à régler, des luttes à l’intérieur d’une même école d’analyse ?

Peut-être. Je reviens au contrôleur. Ce doit être une personne totalement indépendante. Un jeune analyste ne choisit pas son contrôleur parmi les personnes qu’il connaît. Il ne doit pas y avoir de mélange de genres. Effectivement, ça met l’accent sur le fait qu’il peut y avoir des conflits d’école qui n’apparaissent pas dans le cadre de la cure. Ça permet aussi de montrer ce qui se passe à l’intérieur de l’analyste. Ce qu’il raconte à son contrôleur correspond plutôt à ce qu’il se raconte à lui-même.

C’est un peu comme si on lisait un roman et qu’on avait accès au point de vue omniscient qui mêle tous les points de vue.

Si on le comprend comme ça, c’est  assez bien venu.

La parole, la voix

On peut se demander où vont les paroles prononcées dans un cabinet de psy. Est-ce qu’elles bouillonnent à l’intérieur de la marmite que constitue le praticien ? Le contrôleur serait une soupape.

Où vont les paroles ? À la fois nulle part et partout. La fonction de l’analyste est d’entendre ces paroles, de les mettre dans un autre lieu. Dans la pratique, les analystes reconnaissent leurs patients à la voix et leur histoire s’inscrit quelque part. Le fonctionnement d’une mémoire particulière fait revenir une histoire à la simple audition d’une voix, même après une interruption de plusieurs mois. Des choses oubliées depuis des séances antérieures ressortent. Il n’y a pas de lieu où déposer ces paroles car alors elles ne seraient plus vivantes.

Freud disait de ne pas prendre de notes. On ferait ainsi un tri qui tue la parole. Je suis par ailleurs écrivain ; les exemples que je prends sont toujours romancés. C’est une question de déontologie, bien sûr, mais je refabrique forcément un personnage de roman dont je connais les ressorts. C’est sous cet angle que j’ai traité de la question de l’argent.

La place de chacun

Ce qui nous mène à une autre réflexion. En thérapie montre un psy qui encaisse à tous les sens du terme, l’argent et l’agressivité de ses patients.

J’ai été un peu choqué par une absence lors de la première séance de la première série. La consultante avoue à l’analyste qu’elle a un penchant pour lui. Elle se lève, remet son manteau et sort. La patiente peut oublier de payer mais la parole de l’analyste doit le lui rappeler. Le paiement remet les choses à leur place. «  Ce que vous venez de me dire de votre désir pour moi fait partie de la séance. Vous me payez, je reprends ma place de professionnel. »

Le rôle du paiement est de recadrer les choses.

 Entre autres. C’est l’un des concepts freudiens du début : même si on est embarqués dans la même histoire, il y en a un qui est là parce qu’il a envie que les choses changent et l’autre pour faire que ça change.

Dans le flot de la parole on pourrait oublier qu’il s’agit d’une relation professionnelle.

Il s’agit même d’oublier ce caractère professionnel pendant la séance. Il faut marquer quand celle-ci s’arrête.

Proximité, frontières

Puisque nous parlons de frontières…Vous avez écrit Maisons, quand l’inconscient habite les lieux. La série a choisi de faire communiquer le cabinet et l’appartement. On voit le personnage passer de l’un à l’autre, de sa vie professionnelle à sa vie privée.

Beaucoup, c’est mon cas, ont un « appartement mixte ». La série mélange un peu trop les deux aspects selon moi. J’écris, c’est une boutade, que la psychanalyse n’a pu être inventée qu’à partir du moment où on a inventé les couloirs. Il est nécessaire qu’une pièce soit dédiée à la consultation. Elle est strictement privée. Même s’ils se trouvent dans le même endroit, il faut des lieux clos. Ça allait de soi pour mes enfants, il a fallu l’apprendre à mes petits enfants. Que j’ai entendu dire un jour « Chut, pépé travaille ! »

Des univers cohabitent, se touchent mais il faut en montrer les séparations par la géographie, par le paiement pour que le transfert ne joue pas à saute-frontières.

Le transfert ne peut avoir lieu qu’à partir du moment où l’analyste est suffisamment étranger. On ne reçoit pas quelqu’un qu’on connaît. J’évoque dans un autre livre une analysante me disant que ma fille avait fait des progrès au piano. C’était la fille des voisins.

C’est peut-être le même processus qui fait qu’un élève imagine son professeur dans sa vie privée.

Oui, mais cette dimension est peut-être un peu trop mise en scène dans la série.

L’intérêt de En thérapie

Nous avons pointé ce qui relève de la fiction. Est-ce que vous pensez que la série apporte une vision pédagogique ? On découvre des choses intéressantes ?

On découvre déjà que ça existe. De ce que j’ai suivi, je constate que les problématiques des analysants ne sont pas fausses. Les attentats, le Bataclan ont été présents, surtout à Paris. J’ai remarqué que presque tous, analystes, analysants avaient été touchés d’une certaine façon, à des degrés divers. La jeune femme qui gère l’association de laquelle je fais partie y était avec son frère. Certains de mes analysants avaient connu quelqu’un qui y était, un proche, quelqu’un d’à côté. Ça fait partie, avec la pandémie actuelle, des rares événements qui touchent, qui réveillent des souvenirs.

Vous devez percevoir des problématiques qui lient les dimensions sociale et personnelle même en dehors de ce type d’événement.

La relation à la société est toujours présente mais elle est vécue en fonction de chacun. C’est toujours ainsi. Ça ne change pas les conflits inconscients mais c’est quelque chose qu’on peut partager avec l’analyste, quelque chose en commun, comme la pandémie aujourd’hui. En revanche, la série bâtit une histoire en créant des rencontres, un fil conducteur entre analysants, entre analysants et psy. Cet aspect n’est pas réaliste. Je me souviens d’un confrère qui pratiquait dans une petite ville. Il était obligé d’avoir deux salles d’attente parce que les gens se connaissaient trop. Il fallait éviter qu’ils se croisent.

Mettre les choses à leur place

Comment passez-vous d’une séance à une autre dans la foulée ? Y a-t-il un besoin de se « décharger ».

Pas vraiment. Le travail d’un psychanalyste est de mettre les choses à leur place.

Parmi les clichés, on voit l’épouse du psychanalyste se plaindre qu’il aurait toujours un coup d’avance parce qu’il passe son temps à analyser son entourage. Ceci fausserait même leur relation. Votre entourage vous craint ?

Non, faire la séparation ne pose aucun problème. Mon entourage familial est scientifique mais connaît l’inconscient, sait ce qu’est un lapsus.

Logo de la société suisse de psychanalyse

Les ressorts de la psychanalyse

Vous parlez de science. Je lis actuellement L’Esprit critique, une bande dessinée très intéressante. Elle tape un peu cependant sur la méditation, sur la psychanalyse parce que leurs résultats ne seraient pas prouvables scientifiquement.

Il y a des rêves, des lapsus, des actes manqués. C’est prouvable cliniquement. Il est possible de trouver chaque fois la signification d’un lapsus sans même se livrer à une psychanalyse. Il est possible aussi de montrer cliniquement que la psychanalyse et d’autres psychothérapies permettent de « soigner » des personnes.

Le côté un peu magique de l’analyse dans la série peut susciter le doute. Il est dû à la nécessité d’un concentré temporel alors qu’une analyse peut  durer en réalité plusieurs années.

On peut pourtant avoir parfois ce côté magique. J’ai participé à des consultations de Françoise Dolto à l’hôpital Trousseau. Elle conseillait de « faire gaffe à l’effet magique. » Lorsqu’on reçoit des enfants, on commence par écouter tout ce qui relève de leur histoire, ce que les parents peuvent en dire. On retrouve parfois ce qui fait qu’ils ont eu peur, qu’ils ne veulent plus aller à l’école. Le truc se dénoue d’un seul coup, ça peut apparaître magique mais on remet simplement en circuit ce qui était bloqué. C’est peut-être sur cet aspect qu’insiste la série d’Arte.