Respecter

Nombre de chefs disent qu’il faut respecter le produit. Ils ont tellement raison. Il faut respecter le produit comme il faut respecter un texte. Ne pas lui faire dire n’importe quoi. Pour ceci, il faut s’y plonger, le vivre de l’intérieur afin d’éprouver son architecture, les relations entre les éléments qui le composent. Son goût, sa tonalité, les influences épicées venues d’ailleurs. Vocabulaire, syntaxe, grammaire, figures de style, rythme participent à la réalisation de la recette, à son originalité, à l’harmonie qu’elle dégage.

Se respecter

Pour un cuisinier, respecter le produit consiste à procéder comme un écrivain. Plonger au cœur de la matière, ne pas lui faire dire n’importe quoi, respecter chaque ingrédient comme l’auteur soupèse ses mots. Faire chanter le tout grâce au rythme, aux associations, aux liens internes et aux références extérieures, à la relation avec l’univers d’où est issue la matière.

En fin de compte, respecter le produit, c’est se respecter soi-même. Ne pas se saucissonner dans le sens opposé des fibres qui nous constituent. Ne pas badigeonner de sauce poudre aux yeux. Mais garder les pieds dans l’assiette, la tête dans les étoiles du terroir et l’esprit de saison.

Mise en perspective

Étymologiquement, respecter c’est « regarder en arrière ». Considérer qu’on ne vient pas de nulle part et respecter d’où l’on vient, d’où vient l’autre, qu’il soit être ou matière. Nos sociétés procèdent à l’inverse en coupant, tranchant, découpant le travail en taches, en opérations réalisées à la chaîne.

Respect et répit

Alain Rey note : « Tandis que le mot latin respectus, qui exprime un regard admiratif et confiant, a été pris tel quel par le français respect, la langue parlée populaire le transformait  en respit’, puis répit. Si l’on considère quelqu’un avec confiance, cela peut apaiser l’inquiétude et supprimer les risques d’agression…le mot respect apporte un véritable espoir. La vie quotidienne nous harcèle, les affrontements politiques à peu près sans répit harcèlent le monde.

La négociation suppose le respect réciproque et restitue la dignité ; la force et la menace installent haine et mépris. Un peu de respect, ce sera déjà un répit » ( 10 octobre 2000).

Respecter l’humain

Depuis 25 ans, le monde n’aura pas eu beaucoup de répit, ni de respect. L’absence de celui-ci s’accroît avec les toons de Donald qui font espérer l’intervention d’une trempette. Reste que les cuisiniers / cuisinières qui respectent les produits pourraient offrir à leurs clients non pas du «  plaisir »-c’est tellement galvaudé et creux- mais du répit. L’occasion de vivre une convivialité que la politique s’emploie de plus en plus à détruire.