La Voix-voie
5 juin 2025Rencontre avec Patricia Lhéritier qui travaille à faire de la voix épanouie une voie personnelle, par le chant, par la transmission et l’accompagnement. Après Odile Wieder une autre voix/voie de femme .
— Ce que je recherche ? La surprise, l’étonnement comme si ce que j’ai créé ne venait pas de moi.
On parle beaucoup d’identité : l’ADN, les empreintes, l’œil permettent de la définir. La voix en est aussi un élément important.
Dans le milieu policier l’écriture était un indice, et j’ai fait des études de graphologie. La voix est pour moi une signature sonore, une empreinte unique, un enregistrement vibratoire total de notre histoire, de notre parcours émotionnel.
Le silence est important lui aussi.
Mais le Verbe est créateur. Le chant, l’expression vocale, la voix, l’être forment pour moi un tout entremêlé avec notre vécu. C’est relié à ce qu’on est parce que la voix est intérieure. Elle est notre corps, notre cœur et se trouve reliée à notre dimension spirituelle. J’ai découvert assez tard que j’avais une voix, ce don. Et ainsi une voie à suivre, celle de l’expression de soi. La voix permet la découverte de soi et la créativité ; ce que je découvre chaque jour.
La voix me permet de peindre, d’écrire. Je peins en chantant. Je laisse aller ma main quand je chante.
Tu échappes aux cadres et aux catégories figées.
Ça se pourrait (cascade de rire). J’ai découvert tardivement cette nature. J’ai auparavant été rebelle à l’intérieur mais très conventionnelle à l’extérieur. Sage, bonne à l’école. Il faut se libérer de ce formatage, de l’histoire familiale aussi, de cette empreinte, de cette culture. Je n’avais qu’une envie, partir, voyager, apprendre. Je ne prétends à rien sinon à découvrir qui je suis à travers ce que je vis. La voix a été une aide et un guide permanents. Cette découverte de soi n’arrête jamais.
Certains éléments ont déclenché ce processus ?
Je suis allée jusqu’au fond du fond du formatage scolaire puisque j’ai été institutrice, donc confrontée à l’autorité et à la stupidité du système. J’ai tout plaqué et suis partie au Canada. J’ai dit « Au revoir » au travail, à la famille, au compagnon et je me suis barrée.
Je me suis alors demandé : « Qu’est-ce que je fais ? Tout est ouvert. » Je suis allée à l’université étudier la musique, le jazz, faire du théâtre. J’ai fait ça un an, ce n’est pas énorme mais j’ai pris une décision ! J’ai pris conscience d’une part d’amour qu’il y a en moi et qui s’exprime par le besoin de donner. Je suis donc revenue pour donner à travers la voix. Puisque j’ai une voix, c’est ce que je dois donner.
On pourrait se méprendre. « Je dois » n’est pas une obligation morale, je pense, mais une nécessité interne.
Effectivement, ce n’est pas un devoir mais quelque chose qui a besoin d’être vécu et partagé. Mon empathie fait que je ressens beaucoup les gens. Comment ? La voix, déjà, me donne beaucoup d’informations. Le regard aussi, et puis mes petites antennes qui me donnent une perception générale par le biais de ma médiumnité. Il a cependant fallu du temps pour que j’assume la légitimité de cette particularité, pour valider le fait que je suis comme ça. J’ai cette essence, je ne suis pas quelqu’un d’autre. Un cèdre est un cèdre ; il n’a pas envie d’être un sapin ou un roseau.
Pourtant, à l’occasion d’interviews, des arbres m’ont avoué qu’ils auraient envie d’être d’autres essences.
Je préfère être moi, mais ça n’empêche pas la communication. Et les arbres communiquent merveilleusement. Je ne cherche pas à maîtriser mon hypersensibilité, elle me permet de tendre vers un chemin, d’en faire une philosophie. Avec des débordements bienvenus parce que ce sont des apprentissages mais pas toujours faciles à vivre parce que je ne sais pas toujours quoi faire de tout ce que je ressens. Chanter permet de canaliser, de m’apaiser.
La voix implique tout le corps.
Nous sommes vibrations, oui. On s’harmonise, on s’accorde avec les vibrations ambiantes, dans une musicalité permanente.
Ou dans des distorsions sonores. Chanter plutôt du gospel ou du jazz correspond à une conformation personnelle ? À un choix esthétique ?
Mon mari était passionné de jazz, m’a donné l’amour de cette musique qui était pour moi symbole de liberté : je pouvais l’interpréter comme j’en avais envie. J’ai fait aussi le conservatoire de chant sacré. Ma voix lyrique me permet de chanter des Ave Maria…
Et toute l’assistance pleure.
C’est ça. (Le ton de la conversation est sérieusement amusé, il mêle la réflexion et la légèreté : « De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l’Impair Plus vague et plus soluble dans l’air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose… »). J’ai aussi participé à la création d’Izadora Project. Izadora ? Pour la danse que j’ai pratiquée avant le chant et donc Isadora Duncan. Et puis ma grand-mère, qui m’a initiée à la musique s’appelait Isabelle…D’où Izadora.
Tu es dans une découverte permanente mais tu as des repères comme ta grand-mère, l’amour du jazz qui vient de ton mari. Attachement et renouvellement.
Je suis attachée à des valeurs auxquelles je crois, même si elles peuvent changer en cours de route. Des valeurs de bienveillance, de respect. Il y a beaucoup d’ambiguïté dans un être humain. La vraie question est : « Qui est-on vraiment ? » Il y a le reflet de l’extérieur et le ressenti de l’intérieur. C’est dichotomique.
Et la voix sort de l’intérieur pour nous relier à l’extérieur.
Qui nous envoie la voix des autres .
Est-ce que tu aides certains à travailler leur voix ?
Oui, pour qu’ils puissent découvrir leur force intérieure, ces vibrations qui sortent de soi d’une manière parfois surprenante. Je n’ai pas les mêmes voix parlée et chantée. D’où vient cette voix qui jaillit et que je laisse passer? Je suis au service de la musique. C’est elle qui guide cette voix qui passe à travers moi.
Pas mal d’artistes affirment qu’ils sont comme des antennes.
Nous sommes des émetteurs / récepteurs. Être au service de nécessite beaucoup d’humilité.
Jean Dasté parlait de ces moments de partage extraordinaires avec le public, qu’il appelait « la fleur ». Si tu vis ça et que tu rentres chez toi ensuite, qu’est-ce qui se passe ?
Ça continue à œuvrer, et puis d’un seul coup ça tombe. Hier soir (après une conférence et un court concert au Prieuré de Talloires) je n’ai pas pu dormir avant trois heures du matin. L’énergie continue, et s’y ajoute celle que tu reçois. Je peux chanter un morceau cinq cents fois, ce ne sera jamais de la même façon parce que les gens sont différents. Ils t’inspirent dans ton jeu et dans ta façon d’être. Tu vis le moment présent et donc tu n’es pas chaque fois la même personne.
Il faut trouver un équilibre entre la préparation et une forme de vide qui permet de recevoir.
Tu es empathique et tu crées en même temps un espace intérieur qui permet que ça circule : tu reçois, tu donnes, et tu reçois et tu donnes.
Quand tu fais des œufs brouillés le matin, tu es dans le même état ?
Tu touilles, c’est pareil. Et tu t’accommodes des fausses notes ou des parasites comme celles faites par ce monsieur pendant la conférence d’hier. C’en est même stimulant. Quelqu’un qui vient perturber, c’est qu’il a besoin d’exister et ça fait aussi partie de l’expression par la voix.
Certains acteurs entrent vraiment dans le rôle quand ils portent le costume qui va avec. Toi, tu es en représentation quand tu interviens en public. Tu es toi et quelqu’un d’autre ; tu peux en jouer.
Je suis complètement moi. Totalement moi. Je ne suis pas quelqu’un d’autre.
Ça vaut une bonne psychanalyse.
La recherche de soi fait partie de la vie. Apprendre de la vie suffit déjà pour évoluer. Cela permet de se débarrasser de tous les formatages, des conditionnements, des croyances limitantes, des imprimaturs, des implants familiaux. Se défaire de tout ça, c’est se libérer et faire sa propre pâte.
Quelle musique te touche le plus ?
Bach. Depuis toute petite Bach et Vivaldi m’ont toujours transportée. Ces musiques me font voyager, m’élèvent spirituellement. Mozart aussi.
La musique nous accompagne même par-delà les problèmes de mémoire, comme la maladie d’Alzheimer. Elle nous touche directement, au plus profond.
La musique touche le cœur. Elle n’est pas dans l’intellect, dans le mental. La belle musique est dans des sphères célestes.
Je reviens à la conférence que j’ai tenue hier. J’y ai donné la substantifique moelle de ce que je fais passer depuis longtemps : chacun a en lui une voix et n’a pas forcément conscience de sa force, de sa puissance, de l’impact qu’elle peut avoir autant pour soi que pour son expression vis-à-vis des autres. Elle est une empreinte unique qu’on peut conscientiser pour une meilleure communication, pour un bien-être, pour une vie meilleure, pour donner davantage de positivité dans ce monde. J’ai envie de diffuser ce que j’ai longtemps gardé pour moi. De dire des choses que j’ai simplement chantées. De les dire, et de les chanter, de faire le lien. La voix peut devenir une voie, notre essence ; ce que j’appelle la substantifique moelle. C’est notre phénix : j’ai vu des gens se transformer grâce à des clés qui leur ont permis d’être réellement dans leur ressenti. Cela permet de se donner plus d’amour à soi-même.