Le spectacle
1 octobre 2025Dans le texte qu’il lui consacre, Odon Vallet écrit du spectacle : « Le regard est donc multiple car il dévisage ou envisage sous tous les angles. Il peut se porter en avant pour voir l’aspect, cette surface des êtres et des choses qui s’offre aux yeux. En allant au travers…il se montre perspicace. Avec un peu de méfiance il devient circonspect… » Suivent la perspective, la rétrospective, les suspects, les spectres, le speculum…le spectacle.
« Le regard intérieur peut aussi s’appliquer à soi-même par l’introspection…Nous dévisageons le monde avec nos verres correcteurs et chaussons de bonnes vieilles lunettes que l’anglais appelle spectacles. »
Se donner en spectacle pour exister
Le mot spectacle est physiquement, étymologiquement associé au regard. La confusion apparaît dans La société du spectacle quand se confondent l’aspect et l’introspection. Dans la confusion entre la surface et la profondeur intime. La profusion des images en est le véhicule, le selfie l’aboutissement. Peut-être ce besoin de spectacle à tout prix, au risque de se donner en spectacle est-il à relier avec l’éclipse. Andrea Marcolongo rappelle que son étymologie remonte aux verbes « abandonner, manquer, disparaître. » N’aurions-nous, dans les sociétés contemporaines, d’autres moyens d’exister que de lutter contre la disparition ? Celle de la mort est inéluctable. La dilution dans le flot des informations, des datas, des événements serait-elle une disparition avant LA disparition ?
Redondon-redondance
La société du spectacle a bien compris le parti qu’elle peut tirer de tirer le portrait du public. D’où les écrans géants dans les stades. Chacun peut espérer s’y voir, à l’image des stars du sport ou de l’événementiel. Le quidam devient héros par la vertu du regard. J’existe ! Je suis là ! C’est moooooiii ! Cette redondance tient souvent lieu de conscience.
Compter et s’afficher pour exister
Parmi les scies comme « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort » il y eut un temps : « Savoir faire et le faire savoir. » Faire savoir est un art. Surtout quand il ne correspond pas vraiment à un vrai savoir faire. Il arrive même que certains parviennent à faire savoir ce qu’ils n’ont pas fait en faisant croire qu’ils l’ont fait. C’est dire ! Sur la voie verte qui longe le lac d’Annecy, des travaux ont été effectués. Et il faut le faire savoir. Alors on vient d’installer un compteur de passages. Pourquoi ne pas aller au bout de la démarche ? Un écran géant afficherait l’image des piétons, cyclistes, rolleristes, skiàroulettistes, trottinettistes, quidams chevauchant des véhicules en direct live. La vie des usagers s’en trouverait toute revigorée.
Citius altius fortius
Allons encore plus loin. Un message d’encouragement, de félicitation pourrait accompagner l’image. Pour les usagers qui accepteraient de confier leurs données, un message personnalisé d’encouragement, de bienvenue serait délivré : « Bonne journée Max. Joyeux anniversaire Marie. Bon retour de vacances Xavier. Bonne chance aux élections, Frédérique. Bon trip Marion… Excellent circuit de campagne Antoine !
Codicille
Les deux exemples préférés de Talpa en matière de redondance et de spectacle sont les suivants. Ce dessin de Sempé montrant une médiatrice qui accueille des élèves de primaire à l’entrée d’un musée en leur annonçant : « Je vais vous montrer ce que vous allez voir. » et le sketch de Gad Elmaleh sur le Mac Do avec les images qui montrent : « La photo de qu’est-ce que tu vas manger. »