Denise Leclerc, éprise du sport et de la vie

Denise Leclerc, éprise du sport et de la vie

19 juin 2025 0 Par Paul Rassat

Rencontre vers Cluny avec Denise Leclerc qui consacre sa vie au sport. Elle a été athlète de haut niveau et vit encore pour le sport à bientôt 92 ans.

— J’ai aimé le sport à tel point que toutes mes décisions étaient prises en fonction du sport pendant toute ma vie. Je ne m’en rendais pas compte mais quand je fais le bilan je me rends compte que c’est toujours le sport qui a primé.

J’ai toujours aimé me remuer. Petite fille, en colonie de vacances, j’étais toujours la première pour aller se baigner ou pour jouer à la balle au prisonnier. Je faisais aussi de l’athlétisme et me bagarrais avec une fille sur un 100 mètres. Tout ce qu’on me proposais et qui était en rapport avec le sport, je prenais. J’ai fait de la danse rythmique, de la danse modern jazz. Quand j’ai travaillé, vers l’âge de 20 ans, j’ai fait du volley-ball de compétition. Cela n’a pas duré parce qu’à cette époque les femmes se mariaient, faisaient des enfants et nous avons manqué d’effectifs.

Par chance, dans un nouveau travail, une cliente m’a fait découvrir la marche à pied, ma marche sportive dans un club où les brevets allaient de 25 à 150 kilomètres. Ça a été une révélation, j’ai appris que je pouvais marcher. Ça m’a plus. De toute façon j’en voulais. Je choisissais toujours ce qui n’était pas facile. Pourquoi ? Je ne sais pas. Ça me sert encore même dans la vie courante je n’abandonne pas. Si on me propose deux chemins, je prends automatiquement le plus difficile.

Vous aimez souffrir ?

Peut-être. D’une souffrance qui apporte quelque chose. Jusqu’à faire les 24 heures pour les éliminatoires de Paris-Colmar en marche athlétique. Il fallait aimer souffrir. J’ai aussi fait les 28 heures de Roubaix. Quand on arrive à 170, 180 kilomètres, on commence à avoir un peu mal partout. Tout réside alors dans le cerveau. À ce moment-là, c’est plus la tête que les jambes. Pendant les 24 heures de Torcy j’avais une pointe de poignard au-dessous d’une cuisse. À un moment j’ai ressenti une décharge et je n’ai plus souffert. Sans doute l’endorphine. Au fond j’étais droguée de sport. En faire, en faire encore parce que j’aimais ça ! Pas pour braver quoi que ce soit, ou pour me distinguer.

Mais avec la dimension de la compétition.

C’est en moi, oui. La compétition avec les autres et avec moi-même pour aller plus loin. C’est aussi vouloir être premier ! Pour mon plaisir et pour être première. C’est ce qui est arrivé d’ailleurs. Il n’y avait pas beaucoup de féminines à l’époque. Nous étions trois françaises, nous participions donc à des compétitions d’hommes. J’ai été la première sur une marche de 100 kilomètres. Il nous a fallu faire nos preuves pour qu’on nous ouvre l’accès aux compétitions des hommes. Je vais avoir 92 ans ; j’étais alors dans la cinquantaine, les mentalités étaient plutôt conservatrices ! Est-ce que j’ai été ennuyée par la misogynie des hommes ? Je dirais qu’elle m’a servi, au contraire. Je ne m’entrainais qu’avec des hommes. Il ne fallait pas mollir, sinon ils ne m’auraient pas acceptée.

J’ai commencé dans la région parisienne où j’habitais à l’époque, avec  l’ES de Colombes. Tous les vendredis soirs je fermais ma boutique et j’allais Porte de Clignancourt faire les tours de Paris avec des hommes uniquement. Ils marchaient à l’allure de l’entraînement et moi à celle de la compétition. C’est ce qui m’a fait progresser. Mais encore une fois, j’ai pris conscience de tout ça plus tard.

Le regard des hommes a évolué ? Vous avez réussi à vous imposer ?

Oui, bien sûr. Disons que nous étions égaux. Je n’ai jamais ressenti d’infériorité ni de supériorité. C’était une camaraderie. J’allais les aider pour les éliminatoires de leurs 24 heures, Paris-Colmar. Comme j’adorais marcher la nuit, je les accompagnais, je marchais à leur côté. Et quand j’ai participé à mes premiers 24 heures, deux accompagnateurs à vélo se relayaient à mes côtés, deux personnes s’occupaient des performances pour vérifier que je suivais le plan de marche et si je mollissais un gars qui avait la même foulée que moi m’accompagnait.

C’est un sport à la fois solitaire et d’équipe ?

Oui. Pour Dormans-Torcy, par exemple, j’étais seule mais il me fallait un suiveur en voiture. Est-ce que c’était aussi une aide psychologique ? Non. Mais j’ai été fière qu’un jour la SNECMA me choisisse comme leader. C’était une chance ! Je n’avais plus à m’occuper de rien et c’était en plus une satisfaction personnelle que je n’ai jamais fait voir.

J’ai cessé la marche athlétique en compétition internationale en Australie. Pour la première fois de ma carrière j’ai été disqualifiée pour genou plié. Il y a des juges tous les 15 mètres. La contrainte devenait plus forte que le plaisir. Alors je me suis dit : « Maintenant, tu vas courir !  » Je cours n’importe comment, personne ne me dit rien ! Au demi-fond, il n’y a pas les starting-blocks.

Et puis j’ai rencontré en Afrique du Sud un monsieur qui par la suite m’a demandé de partager sa vie. Il était sportif lui aussi. Il l’est toujours. Il avait un groupe de copains. Et puis contrairement à la marche qui est une discipline un peu à part, la course se déroule avec toutes les spécialités de l’athlétisme. J’ai pu connaître beaucoup de gens. Cette ouverture m’a fait exploser dans la course, où j’ai eu mes records du monde. Bien que j’aie déjà eu un record du monde en 5000 marche.

Au fond, avoir été disqualifiée une fois m’a permis de changer de discipline et de m’épanouir pleinement. J’ai de nouveau participé à des internationaux en passant de la marche à la course. Et puis avec tout un groupe de copains cette fois-ci ! Et puis la disparition d’un ami, l’âge ont disloqué le groupe. Mon ami étant plus jeune que moi, il continue la compétition. Nous partons bientôt en championnats de France, ensuite à Madère pour le championnat d’Europe. Je le suis et reste toujours dans mon milieu.

Je ne pratique plus. En 2017 je savais que j’avais un lymphome. Comme il évoluait très entement, on ne m’a pas soignée tout de suite, ce qui m’a permis de faire encore deux ans de compétition, dont un 10 kilomètres en une heure et 16 secondes alors que j’avais 84/85 ans. Chaque compétition était un pied de nez à mon lymphome qui, par chance, était indolore.

Il fallait bien que je m’arrête un jour. Je l’avais envisagé ; le COVID a contribué à ma décision. Je continue à faire de la gymnastique, du  Pilates pour mon équilibre. Récemment j’ai été élevée au rang d’Officier dans l’Ordre National du Mérite. Je n’avais rien demandé mais ça m’a fait plaisir.

Cette médaille, vous l’avez eue sans avoir à souffrir !

Vous avez raison. Ce que je retire de mon parcours ? J’en suis heureuse. Il me permet de repenser à tout. Je parle sport avec mon ami ; quand je vais aux championnats de France nous retrouvons des copains et parlons uniquement de sport. Ça me plaît ! Les courses hors-stade aussi, comme les trails à Chamonix, en milieu naturel, apportent un plaisir particulier prolongé par la convivialité. Certaines compétions se terminent par une fête : on mangeait, dansait toute la nuit.

Le sport a été aussi le moyen de voyager, de rencontrer des gens. Une façon de vivre.

Bien sûr. On s’est fait mal jusqu’au jour-même de l’invitation, mais le soir c’est la fête. Oui, c’est un ensemble. Une ouverture de vie.

Une précision. Le compagnon de Denise pratique la course de haies. Il a fait placer à l’entrée de la maison une barrière qui peut se lever mais qu’il s’entraîne à franchir.

On s’est un peu lassés de le faire à chaque fois, mais je l’ai passée il y a 8 jours et je dis chaque fois : «  Ah, je ne suis pas vieille ! »