Interdire
15 août 2025Interdire : « défendre absolument, refuser le droit à (l’usage, la pratique de quelque chose) par un impératif d’ordre individuel ou collectif. » La complexité de la langue nous mène dans des méandres. Défendre peut consister à protéger mais aussi à refuser le droit de… en interposant (inter-disant) une parole, une loi, un règlement entre une personne, un groupe de personnes et la possibilité de faire quelque chose.
Braver l’interdit

Il est possible de respecter ou de braver l’interdit. Dans le second cas, c’est une façon de s’affirmer, d’exister. Mais braver l’interdit peut faire évoluer la situation, amener à une évolution positive ? Ce fut le cas dans la religion, dans la science, dans le domaine moral ou social. Ou bien braver l’interdit est une réaction épidermique à des interdits sans fondement. Pendant longtemps l’école a fonctionné de façon très formelle, privilégiant le respect de consignes, de règlements plutôt que l’épanouissement par la connaissance. Celle-ci se transforme alors en un savoir mécanique. Les éléments malmenés par ce système, voire brisés ou exclus par lui, se réfugient souvent dans « l’apprentissage de la vie ». Alors que l’école et la vie devraient être intimement liés.
Le rôle de l’école
L’école entraîne une adaptation que certains confondent avec l’intelligence ; ou bien un renoncement à soi qui peut prendre la forme d’une rébellion. Il est normal que ceux qui ont réussi à l’école en vantent les mérites. Mais sont-ils les plus nombreux ? Au lieu de tenir compte de l’échec de celle-ci, on a préféré abaisser les critères de réussite scolaire. Ceci n’a pourtant pas entraîné davantage de bonheur scolaire. Au contraire. Le non sens ne rend pas forcément heureux.
Nourriture et pensée rapides
Le mal-être devient alors opposition à la société en général, puis revendication, rejet. Le tout culmine dans le rejet de ce que préconisent la médecine, la science liée à la connaissance parce qu’elle rappelle le savoir scolaire . Braver l’interdit fait croire que c’est le meilleur moyen d’échapper au système, d’affirmer sa liberté. C’est là-dessus que s’appuie la publicité pour nous manipuler. « Venez comme vous êtes » dit un slogan de fastfood. » La « nourriture rapide » rejoint la « pensée rapide » saisie sur un écran. Mais se construire nécessite d’en prendre le temps. Le temps de se nourrir, le temps de réfléchir, de trier, de digérer, de faire siennes nourriture et pensée.
Restriction cognitive
Dans Chroniques gourmandes Maxime Piétri écrit à propos des fast foods : « Au-delà du risque d’obésité que cette alimentation présente, il faut être conscient que c’est non seulement de malbouffe qu’il s’agit, mais pire, d’une pensée alimentaire unique et, finalement, d’une déshumanisation de la table. » Il s’agit d’une « restriction cognitive. » Celle-ci mène au refus de la science, aux théories du complot, à la complaisance pour le prédigéré dans tous les domaines.
Cette restriction cognitive nous entraîne dans la malbouffe, dans le tabac et autres pratiques nocives que nous adoptons en croyant nous affirmer. En 1928 les producteurs de tabac des USA, grâce à une campagne pensée par Edward Bernays, firent croire aux femmes que le droit de fumer dans la rue, comme les hommes, leur apportait plus de liberté.
Rêve de liberté
Comment se dépêtrer aujourd’hui des interdits, des ordres, des injonctions, des prescriptions ? Comment repérer ce qui est utile, vide de sens, contradictoire, épreuve de soumission ? Certains préfèrent tout envoyer promener sans même prendre le temps d’y réfléchir, pour tomber aussitôt dans le premier piège tendu. Pourvu qu’on le leur présente comme le chemin de la liberté. Celui-ci est en réalité une restriction du champ de la liberté.