Rallier la vie

Rallier la vie

23 octobre 2025 0 Par Paul Rassat

Rallier la vie et l’art, tenir la route, tel est l’objectif de Xavier Chevalier rencontré peu après sa 4° participation au Rallye des Bauges.

 — Arrive mon tour le samedi après-midi. Juste avant une épingle, il y a une petite bosse, des cailloux partout sur la route. Je m’étais dit « Après cette petite bosse, tu laisses un petit filet de gaz pour passer. Tu ne décélères pas complètement mais tu laisses filer. » Et malgré ça, la voiture a tiré tout droit . L’adrénaline ! J’ai pu la récupérer. Tout se joue à une fraction de seconde près. La voiture n’a pas tapé, et je me suis quasiment arrêté face à mon père.

Tout le monde est dans l’adrénaline, les spectateurs, les commissaires parce qu’il faut dégager la route pour le concurrent suivant !

C’était une sorte d’hommage à ton père.

Une partie de ma famille était présente, et puis ça discutait. C’est le côté populaire de ce genre de manifestations. Il y a les férus qui connaissent tous les pilotes ; les Baujus purs et durs…Ça parlait en disant « C’est le pilote artiste ! » Mon oncle et ma fille informaient les spectateurs : « C’est le fils de l’artiste qui arrive ; il faut bien regarder le tableau collé sur la voiture. »

Le moment a été assez rigolo, tu foires tout mais ça te met une petite châtaigne. Cet endroit, je sais que je vais y repasser 4 fois, qu’il va encore se dégrader. Ce n’est jamais la même chose bien que ce soit toujours le même endroit. Ce sport est un super travail sur soi-même, sur le travail en équipe qui devient une sorte de famille. Il faut aussi y croire, mettre toutes les chances de son côté, connaître ses propres limites en fonction de son niveau.

Pour la 2° étape, il y avait plein de traces de pneus indiquant des sorties de route. Certaines allaient tout droit vers des rochers. J’ai encore en tête l’image d’une haie taillée au cordeau. Une trace de pneus s’arrêtait au niveau du trou parfait ouvert par une voiture.Il n’y avait plus la voiture, juste le trou ! Au volant, tu te dis qu’il faut maîtriser tout ça. Ça va très vite sur la route, et très vite à l’erreur.

Pendant tout le weekend la lumière d’automne a été magnifique, mais il faut rester concentré. De nuit l’ambiance transforme la course en un moment festif. Tous les spectateurs sont agglutinés aux épingles en bas d’Arit. Ils tirent des feux d’artifice, des fumigènes dans tous les sens. Les gens se retrouvent les pieds dans l’herbe mouillée, dans la bouse de vache, avec l’odeur de vin chaud et de diots. Certains ont les drapeaux savoyards. C’est un mélange de gens qui partagent cette dimension populaire, régionale, d’autres qui viennent de loin parce que c’est une étape des Rallyes de France. Ils se parlent, partagent leur bonne humeur.

Tout s’est bien passé le dimanche. J’avais l’impression de comprendre la voiture. Le copilote a été un super chef d’orchestre. Au fond, la course c’est un peu comme passer des chapitres. Tu ne connais que le titre de chacun, mais pas l’histoire ; c’est toi qui l’écris. Avec l’intention d’amener jusqu’au bout l’œuvre de mon père qui colle à la carrosserie. C’est une histoire qu’il faut comprendre et savourer pour qu’elle soit éternelle. Au-delà de l’instant que tu vis et partages.

C’était ma 4° participation au Rallye des Bauges. L’expérience de l’édition précédente portait sur le camouflage, l’idée d’être un petit être mobile qui apparaît, disparaît, qu’on voit ou non. Et puis, tout de même, certains parmi les pilotes phares finissent par me remarquer. Michel Giraldo, qui a une soixantaine d’années est venu me voir pour me dire qu’il apprécie particulièrement ma démarche. Lui-même est dans une sorte de transmission familiale, sa fille est son copilote ; l’héritage de ses parents perdure dans ce concept. Il pense lui aussi qu’il est intéressant d’apporter cette touche particulière dans l’événementiel. Cette reconnaissance m’a touché.

Ma démarche se concrétise en faisant la course, elle ne se limite pas à la course. C’est un work in progress qui occasionne pour moi un baby blues à la fin de chaque participation. La voiture repart sur la remorque ; elle change à chaque édition. C’est tout sauf une routine, mais toujours un réel plaisir d’apprentissage avec ce stress : «  Est-ce que je vais y arriver ? » Tout ne se réduit pas à tenir un volant ou à appuyer sur l’accélérateur. C’est donc un apprentissage, un moment d’écoute, d’équipe.

C’est ce qui te donne des responsabilités qui te porte.

Pour l’équipe MCB qui me fournit la voiture, la première fois je n’étais qu’ un client validé par mon copilote qui était connu… Tout ça rejoint une philosophie : que sera la minute d’après ? Je le vis encore plus intensément avec l’ascenseur émotionnel que constitue une course. Tu as beau te préparer physiquement, mentalement, techniquement, tu n’es jamais assuré du résultat.

Cette discipline concentre tout ce que comprend ma vie. Elle est la meilleure métaphore vivante de mes passions, de mon caractère. Au gîte nous étions une vingtaine de personnes de ma famille, de plusieurs générations. C’est l’occasion de rassembler les gens que j’aime bien, de les bousculer afin de créer une réelle énergie qu’ils partagent. Cette énergie vit d’étape en étape, de rallye en rallye. Le passage du projet Trompe l’œil à Sur ma route a trouvé son déclic lorsque ma fille m’a passé l’exemplaire du  livre de Kérouac qui lui avait été offert au Canada. Tous les concurrents ont des caméras embarquées. Nous avons placé nous aussi une caméra entre les deux sièges. On voit la route mais aussi et surtout le bouquin qui saute dans tous les sens au rythme de la conduite et avec le bruit de la bagnole.

La référence à Kérouac donne à sa façon de la cohérence à mes aventures artistiques et sportives. Et puis je vais désticker, arracher l’œuvre de mon père que nous avions installée sur la voiture pour en refaire quelque chose qui sera mon geste et mon interprétation dans la continuité du geste de mon père.

Vivre quelque chose, avec quelque chose qui ne m’appartient pas, et m’en resservir pour construire mon univers. Construire, déconstruire, reconstruire sa propre identité. Il ne s’agit pas de prendre, de voler, mais d’amener le travail d’un autre dans un paysage, avec un profond respect l’amener jusqu’au bout ; se servir de cette expérience pour reconstruire et trouver la clé de l’étape suivante. Le plus longtemps possible.