Picsou, un personnage en or
5 novembre 2025Entretien avec Nicolas Keramidas qui est, avec Jul, l’auteur d’un Picsou étonnant, une charnière entre les mondes, les époques, les niveaux de lecture.

L’entretien par téléphone commence avec cet avertissement de Nicolas Keramidas : — Des électriciens interviennent chez moi. On commence, et on sera peut-être obligés de faire une pause.

Ils viennent changer le Filament en LED ? Nous nous étions vus à Annecy, chez BD Fugue, pour Chasseur d’Invader. Vous êtes un joueur dans l’âme.
Un joueur et un collectionneur.
Reprendre Picsou, c’est un jeu, mais aussi respecter certaines contraintes. Quelle a été votre liberté ?
Elle est difficile à définir : elle est à la fois totale, et totalement contrôlée. Disney nous prête ses jouets, que la terre entière connaît. On peut jouer avec comme on veut, mais sans les casser On ne reçoit pas de charte, mais il y a des règles, on les connaît. Depuis quelques années les armes sont interdites, on ne peut plus montrer quelqu’un en train de fumer, par exemple.
Ce n’est pas propre à l’univers de Disney, Les dix petits nègres sont devenus Ils étaient dix.
Je viens de lire le dernier Astérix, le pirate noir n’a plus ses grosses lèvres, et il prononce les « r ». Les auteurs ont été malins en notant « Ça manque pas d’air ».
Les contraintes rendent ingénieux.
C’est exactement ça avec Disney ; il y a des choses qu’on aimerait faire, aller plus loin… mais il faut faire avec. D’un autre côté, les personnages sont tellement iconiques qu’il n’y a rien à expliquer ; tout le monde connaît ! Nous n’avons plus qu’à nous amuser.
Mon style correspond assez naturellement à cet univers et je n’ai pas à faire d’effort particulier pour m’y sentir à l’aise.
Les personnages, tout le monde les connaît, mais vous les placez dans un contexte que tout le monde croit connaître. On a tous entendu parler des crypto-monnaies, ça ne veut pas dire qu’on maîtrise le sujet.
C’est ce que j’aime avec cet album. On s’inscrit dans la continuité mais en la dépoussiérant, en la mettant au goût du jour : Picsou confronté à ce qui se passe de nos jours. Jul et moi avons la cinquantaine et, finalement, on est plus proches de Picsou que des neveux qui réagissent hyper vite, s’approprient la situation.
Vous étiez tout de même prédestiné pour cet album, Keramidas et le roi Midas.
Je ne l’avais pas vu comme ça, mais je prends !
On avait abordé la question de l’original et de la copie lorsqu’on avait parlé d’Invader. Picsou est l’original, à tous les sens du terme. Duck est avant tout une image. Notre monde actuel est un monde d’images…
Jul dit que Picsou est le cliché, le stéréotype du riche, mais du riche à la papa, avec ses guêtres, son chapeau haut de forme, sa canne. Plus personne n’est riche comme ça. Maintenant c’est l’argent dématérialisé. C’est Bezos, Musk et d’autres qui sont plutôt bodybuildés, testostéronés, hyper branchés, avec des signes extérieurs de richesse évidents. Le seul signe de richesse de Picsou, c’est son coffre démesuré avec tout son argent dedans. Il porte toujours les mêmes fringues plutôt ringardes.
Vous avez appris des choses sur les crypto monnaies ?
J’ai beau être joueur, les bit coin, la bourse ne m’on jamais attiré. J’ai besoin de concret. C’est pour ça, peut-être, que nous proposons plusieurs niveaux de lecture. Un adulte ou un enfant ne verrons pas les mêmes choses. J’avoue d’ailleurs que je suis un peu comme un gamin : je ne comprends pas tout non plus.
Le final est très intéressant. « À partir de maintenant je vais investir dans le tourisme spatial » annonce Picsou. La fin de l’histoire annonce un début à venir. Une suite.
Jul et moi serions partants pour un album tous les deux ans. Mais il y a Glénat, Disney dans la partie ; alors soyons prudents. On attend.
Le format de l’album n’est pas impressionnant, surtout par rapport aux gros romans graphiques à la mode. Mais la lecture est très dense.
Sans doute parce qu’il y a beaucoup de dialogues. Dense est le mot, même si la lecture est fluide. (Exactement, Nicolas a dit : « C’est un album riche et dense ». On appréciera le premier adjectif.)
Et puis il y a des références très françaises, avec Jean Dubabouin, Yak Audiard, Fremok et le Festival de Canes.
Et le côté riche à la papa de Picsou fait qu’il est un peu de chez nous.

Le mot de Talpa
Ce Picsou tombe à pic. On n’a jamais autant parlé de taxer les riches, de définir la notion de richesse. En passant des grosses blagues, des jeux de mots de potache à une véritable réflexion sur notre société, Jul et Nicolas nous font voyager des fables de La Fontaine à « La société du spectacle » de Guy Debord. Chacun y trouve son compte et Piscsou ses sous. Avec une pépite en plus, une réflexion qui nous transporte de l’absurde à une interrogation sur les plus grands enjeux de notre société. Les Rapetou remplacent le code binaire de l’informatique par un « codage avec les chiffres de nos matricules [ absurdité en barre] pour enchaîner : « Avec ça, on peut pénétrer n’importe quel système, sauf l’algorithme qui conçoit nos aventures. Malheureusement. »

