Déjouer les pièges du développement personnel
22 avril 202110 commandements démystifiés et décortiqués nous apprend le sous-titre du livre de Xavier Cornette de Saint Cyr ( avec le bonus d’un onzième commandement). L’auteur nous accorde une interview. Nous y parlons de développement personnel, bien sûr, mais aussi de bon sens, de philosophie.
Revenir au (bon) sens
Vous êtes un empêcheur de danser en rond ! Votre précédent livre était déjà une sorte de contre-pied et avec celui-ci, vous dézinguez le développement personnel. Vous avez un regard particulier.
Je m’en prends aux « phrases Facebook ». Ce sont des formules que beaucoup trouvent très bien sans réfléchir à ce qu’elles signifient. Des slogans qui entraînent la culpabilité de celles et ceux qui n’arrivent pas à les mettre en pratique. Ces slogans sont des injonctions de faire et auxquels il faudrait se conformer. Une fois sur deux, ça ne marche pas parce que ce n’est pas dit à bon escient, parce que le ressenti du destinataire n’est pas pris en compte, etc.
C’est un cercle vicieux puisqu’en cas d’échec certains ont recours au développement personnel.
D’autant plus qu’il y a de tout dans le développement personnel. Une dimension très positive, une autre où l’on vous assène des phrases sans réflexion. Combien de fois ai-je entendu « Il faut positiver ». C’est impossible lorsque vous avez un gros problème ! « Sortir de sa zone de confort », je l’entends fréquemment, surtout en entreprise. Qu’est-ce que ça signifie ? C’est abstrait.
L’émotionnel nous coupe de la réflexion et de la conscience
Pourquoi en arrive-t-on à cette réduction de la pensée via des formules toutes faites ? Est-ce que c’est de plus en plus marqué ?
La réduction de la pensée constitue un vaste débat. L’émotionnel prend de plus en plus le pas sur la réflexion. Elle consiste aussi à dire ce qui est bien comme si on détenait la vérité. « Moi, je sais ce qu’il faut que tu fasses. » Les phrases dont je parle peuvent être dites aussi dans une intention louable.
Injonction, emprise, pensée unique
Le lien avec votre précédent livre est la notion d’emprise.
Effectivement. Il y a par ailleurs une pensée unique qui se dessine depuis quelques années. « Il faut vivre l’instant présent », vous l’entendez toutes les dix secondes. Alors le passé n’existe plus, il ne faut plus y penser. Nous sommes biologiquement faits pour nous diriger vers l’avenir. Acheter une baguette de pain, c’est déjà se projeter dans le futur. Le livre d’Edgard Toll a été un immense succès mais il ne m’a pas convaincu. Je lui préfère de loin Thich Nhât Hanh qui dit avoir conscience de l’instant présent, conscience de ce qu’il est en train de faire. Comme vous lorsque vous travaillez et êtes concentré sur ce que vous faites au lieu de regarder un texto qui arrive…Être dans la pleine conscience de ce que je suis en train de faire, la cuisine, le jardin… Je répète que tout ce que nous faisons est réalisé en fonction du futur. Sinon, vous êtes déresponsabilisé puisque vous n’imaginez pas les conséquences de vos actes.
Et pensée globale
On entend parler de produits hors-sol. On crée aussi des gens hors-sol.
C’est une sorte de pensée globale qui diffuse de plus en plus. L’émotion prend le dessus sur la réflexion et sur la prise de recul.
Connais toi toi-même
Vous revenez finalement au fameux « Connais-toi toi-même » dans une approche dynamique qui permette de se construire au fur et à mesure.
Absolument. Quelles sont mes capacités, mes limites. Qu’est-ce que j’en fais ? « Connais-toi toi-même et tu connaîtras les dieux. » Revenons à un exemple. L’amour inconditionnel. Quelqu’un m’a dit qu’il faut aimer plus que soi. Mais si l’autre commet un acte de malveillance ? Pour moi, l’amour inconditionnel n’existe que vis-à-vis de son petit enfant qui n’a pas encore toute les facultés de discernement.
Vous vous livrez à une vraie lecture critique des formules que vous citez. Comme il est conseillé de lire des textes originaux plutôt que des reprises ou des commentaires.
Une lecture exégétique pour ne pas « assassiner » une personne en lui envoyant quelque chose qui ne lui correspond pas, dont on n’a pas mesuré la portée.
Parmi les injonctions, celle d’être heureux
Vous venez d’employer le verbe assassiner. Ceci nous mène à votre conclusion qui s’intitule « Faut-il être heureux ? »
Je songeais avec ce titre aux livres happycratie. Les injonctions permanentes deviennent une obligation. Si vous n’êtes pas heureux, vous êtes un looser, votre vie est ratée. Il faudrait définir le bonheur. Il n’est pas une obligation et on l’apprécie parce qu’il est moins présent à certains moments. Je ne peux pas vous ordonner d’être heureux. C’est à vous de construire votre bonheur. « Positiver » est du même ordre. Vous avez un problème, on vous dit qu’il n’y a pas mort d’homme, il faut relativiser…
On peut imaginer une suite à votre livre. Les formules ne manquent pas. J’entends souvent « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. »
Ces phrases deviennent des bêtises lorsqu’elles ne sont pas réfléchies. Il faut chaque fois redéfinir les termes. De quoi parle-t-on ?
L’intelligence relationnelle
Vous êtes formateur en « intelligence relationnelle ». En quoi consiste votre activité ?
À apprendre aux gens à pouvoir communiquer intelligemment. Depuis quinze ans, on me demande comment discuter sans se taper dessus. Essentiellement en entreprise. On n’entend pas l’autre. Chaque fois qu’on veut avoir raison, on estime qu’il a tort. J’écoute quelqu’un pour le comprendre, pas pour lui répondre. Certains vous donnent une réponse alors que vous n’avez pas fini votre question.
L’une des causes de cette situation pourrait remonter à notre système scolaire. On y enseigne des recettes plutôt qu’à écouter et à réfléchir. Les débats télévisés n’arrangent rien. On cherche à y avoir le pouvoir plus qu’à argumenter.
On prend deux personnes d’avis opposés pour qu’elles se tapent dessus et que ça fasse du buzz. L’objectif est-il d’avoir raison l’un contre l’autre ou bien de travailler ensemble à une solution ? Revenons à l’expression « positiver ». Récemment une personne me confiait qu’elle avait du mal à rédiger un CV. Ses expériences partaient dans tous les sens. Je lui ai fait remarquer que son champ d’action est donc extrêmement large, qu’elle peut être efficace dans des domaines très différents.
L’écoute, la confiance
Mais le plus souvent, nos interlocuteurs veulent nous faire entrer dans des cases, sinon ils sont perdus.
Il faut donc chercher à savoir quels sont leurs besoins. Une simple question pour les connaître est parfois la solution. Elle montre votre intérêt véritable, humain pour l’autre.
Nous avons parlé de l’enseignement. C’est la plupart du temps le professeur qu’il faut rassurer, pas l’élève.
C’est une question de confiance. Le professeur qui a confiance en lui n’a pas peur de perdre son pouvoir. Il en est de même pour un manager. C’est la peur qui transforme en petit chef qui cherche à maintenir les autres un niveau en-dessous.
La discussion continue avec passion et humour. Elle aborde l’un des centres d’intérêt les plus prononcés de Talpa : les autodidactes. Retour au « Connais-toi toi-même » et à la phrase de Jean-François Revel « Seuls les bons professeurs forment de bons autodidactes. »
Parmi les formules revues par Xavier Cornette de Saint-Cyr « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». À contextualiser. Par exemple pendant la 2° Guerre mondiale. Et puis le fameux « lâcher prise ».