Le cygne noir, lecture libre du livre de Nassim Nicholas Taleb
23 août 2021Photo de cygne noir © francebleu.fr
Le cygne noir ?
Qu’est-ce qu’un cygne noir ? Un cygne noir c’est quoi ? demanderait-on dans les médias.
La normalité a longtemps correspondu à l’existence de cygnes blancs. Jusqu’ ce que l’on découvre celle des cygnes noirs. On a même considéré un temps que ce n’était pas des cygnes puisqu’ils étaient noirs. Un événement qui échappe à toute prévision basée sur l’observation de répétitions est-il bien un événement ? Et c’est même ainsi qu’on a banni de la notion de progrès toute initiative n’allant pas dans le sens attendu car, c’est bien connu, on n’arrête pas le progrès. On ne le dévie pas. On ne lui fait pas prendre des chemins de traverse.
Apprendre à apprendre
Dans un passage du prologue intitulé « Apprendre à apprendre », Nassim Nicholas Taleb écrit : « Nous n’apprenons pas spontanément que nous n’apprenons pas ce que nous n’apprenons pas. » Le poisson ne sait pas qu’il ne sait pas qu’un autre monde existe au-delà de son aquarium. Un peu à la manière d’un malade qui souffre d’anosognosie, ce qui fait qu’il ne sait pas souffrir de quelque chose. C’était le cas, paraît-il, de Jacques Chirac pendant les dernières années de sa vie. Ne sachant pas qu’il est malade, le malade est bien portant !
Le progrès version poisson rouge
Le fonctionnement actuel de notre esprit n’est pas conçu pour analyser et comprendre les structures. Il s’en tient aux faits car il lui a fallu survivre depuis les premiers temps. Il était d’abord vital de survivre aux menaces de tous ordres. Réfléchir nécessitant de l’énergie et du temps, notre ancêtre, pris dans les nécessités du quotidien, n’en avait pas à perdre. L’usage que nous faisons de notre cerveau ne convient plus cependant au monde moderne. Celui-ci exige de se faufiler dans des masses d’informations au lieu de rester au niveau des faits. Il nous faut examiner et comprendre l’organisation des structures de plus en plus complexes de notre aquarium au lieu de réagir dans l’immédiateté des faits. De sur-réagir même, émotions et réseaux sociaux aidant. Les théories complotistes surfent sur cette nécessité d’immédiateté et de simplification de la réalité.
Médiocristan & Exrêmistan
La ligne médiane est notre principal point de repère. Ajoutez un géant à une centaine de personnes standard. La taille du géant ne fera pas bouger la moyenne des tailles. Expérience, sagesse, transmission des savoirs reposent sur le confort du médiocristan. Plus on fait de tours dans l’aquarium, plus il nous est familier et confortable. Ajoutez en revanche la fortune d’un Bill Gates aux biens d’une centaine de personnes standard, la moyenne n’a plus le même sens. Tous les événements significatifs relèvent de l’Extrêmistan. Guerres, événements naturels importants, crises de tous ordres, grandes inventions.
La dinde
Ici intervient la parabole de la dinde.NNT (ainsi appellerons-nous l’auteur du Cygne Noir car nous commençons à le connaître suffisamment). NNT emprunte à Bertrand Russell l’histoire d’un poulet qui, par la magie de l’écriture devient dinde.. L’animal se félicite de sa condition. Depuis sa venue au monde protégée des prédateurs, il est logé, nourri, chouchouté. Ainsi traité, il grandit et forcit. Cette évolution médiocratisante le conforte dans l’idée qu’il a fait le bon choix. Car oui, il pense avoir choisi ce milieu afin de s’y épanouir. L’Extrêmistan pointe le nez brutalement à l’approche de noël ou de thanksgiving. Contre toute attente et en opposition totale avec la logique qui a prévalu, l’animal est occis. Ses observations antérieures concernant sa condition n’ont servi qu’à l’endormir.
Le dindon de la farce
Nos systèmes politique,économique et autres nous transforment en dindes. À quoi et à qui sommes-nous sacrifiés ? L’ouvrier, l’employé, le cadre, le directeur parfois sont nourris au bon grain du travail rassurant parce que répétitif. Il arrive que le menu en apparence varie. Une réunion « agile » ici. Une formation là. Et puis c’est le noël ou le thanksgiving de l’employé. Crac ! On lui tord le cou. On le sacrifie sur l’autel de l’emploi, du profit, des dividendes, du réalisme économique. C’est comme ça ! Il faut voir la réalité en face.
La sauce communicative
L’art d’accommoder la volaille nécessite à l’occasion quelques frais de camouflage gastronomique. Une bonne louche de sauce communicative fait glisser le plat trop sec. Le tour est joué. Les restes sont recyclés en stages, formations, voies de garage. Élevage intensif, extensif, en batterie, au sol, l’issue est souvent la même. Le Président des USA gracie quelques salariés et les autres sont cuisinés.
La dinde farcie
Bon prince, le salarié participe activement à l’achèvement de son sort. Il y apporte son travail, son obéissance. Une ration supplémentaire de bon grain l’y encourage à l’occasion.
Et c’est ainsi que la chair est savoureuse
À l’autre extrémité de la chaîne alimentaire, les éleveurs premiers de cordée donnent du travail. Ils créent des richesses qui ruissellent sur les pentes douces des collines abritant les élevages. Farcie, la dinde béate de gratitude sourit à son sort. Et c’est ainsi que sa chair est savoureuse.
PS Certains objecteront que l’entreprise familiale et artisanale traite correctement ses volatiles. Ceux-ci peuvent prendre une retraite bien méritée. Calculée cependant sur les critères de l’élevage en batterie. Bien trop souvent la ration de grain se trouve réduite au strict nécessaire car la bestiole n’est plus consommable.