Antoine Perez, artiste semeur et relieur d’idées
22 décembre 2021Rencontre avec Antoine Perez autour de son dernier livre artistique et d’un nouveau projet
Antoine, pourquoi faire parler des animaux dans ton dernier livre ?
Ma pratique artistique interroge beaucoup les questions d’écologie. Elles sont d’ailleurs de plus en plus présentes aujourd’hui. Ces animaux répondent à mes questions personnelles. Comment fonctionnent d’autres formes de vie que les humains ? Comment survivent-elles dans le monde qu’on leur impose ? J’appelle cette démarche une encyclopédie mémorielle et artistique. Ces représentations d’animaux que je dessine constituent comme une sorte d’Arche de Noé.
Tu anticipes la disparition des espèces.
Beaucoup survivront aux humains. Au cours de mes recherches pour représenter ces animaux et comprendre leur mode de vie je me suis rendu compte qu’il existe parfois un nombre d’images supérieur au nombre d’individus encore vivants d’une espèce.
Vive l’arborescence !
Tu aimes bien échapper aux catégories préétablies, au cloisonnement, comme le prouve cette approche vue du côté animal. La présentation de lien en lien, en arborescence, te permet d’échapper au conditionnement imposé par notre société.
Je remets en question les mots, leur usage, leur sens. Je tente de trouver quelques brèches dans le formatage auquel je n’échappe pas moi-même.
Qu’est-ce qui t’a mené à associer l’art et l’écologie ?
C’est en moi depuis le début. En dehors de ma pratique artistique, mes démarches vont dans le même sens. Enfant ou adolescent, je ramassais les déchets pour les rapporter à la poubelle quand j’allais à la rivière. Ça m’a permis de rencontrer d’autres personnes, de créer du lien.
L’art et l’écologie
L’écologie était donc naturelle, depuis le départ. Et l’art ?
Je dessine depuis l’enfance. L’art m’a semblé évident. J’ai simplement continué de dessiner, de produire des choses un peu décalées par rapport au mode de vie productiviste, « rationnel ».
C’est une démarche militante ?
Je revendique une subjectivité. L’art permet de mettre en place une multiplicité de subjectivités qui montrent la complexité du monde. J’avais voulu créer un moment donné l’Observatoire Subjectif International. C’était un prétexte pour mettre en avant des productions artistiques qui remettaient en cause différents sujets, comme le productivisme, la modernité qu’on peut opposer aux mondes relationnels tournés davantage vers la singularité.
Travailler en écosystème
Ta démarche artistique s’appuie sur un soubassement sociologique, philosophique.
Ça fait partie de mes bases de réflexion, de lectures que je maîtrise en partie parce que je n’ai pas la prétention d’être un philosophe.
On revient à ce fonctionnement en arborescence qui n’exige pas d’être un spécialiste de tout mais crée des liens.
Mon travail artistique ressemble à un écosystème constitué d’un réseau de liens, d’idées. Les relations peuvent être d’ordre analogique ou bien causal, voire de contradiction. Je cherche à comprendre plutôt qu’à affirmer une pensée toute faite.
Quelques références
À feuilleter ton dernier livre, on voit que tu racontes une histoire.
Elle n’est pas linéaire. J’aurais plus de mal sinon. Les schémas m’aident à écrire et à m’exprimer par analogies. Je ne suis pas le seul. Le dernier livre de Philippe Descola, Les formes du visible, compare les formes visuelles et artistiques dans différentes sociétés. Je pense aussi à Diamond Jared, L’effondrement, Comment les sociétés décident de leur disparition et de leur survie. Vinciane Despret fait partie de mes lectures. (Il sera aussi question du livre d’Anna Lowenhaupt Tsing Le champignon de la fin du monde, Sur la possibilité de vivre sur les ruines du capitalisme).
Le choix d’une expression libre
Ton livre, à le feuilleter, est un joyeux mélange de Rahan et de Disney ! Le voisinage de personnages, d’animaux, de végétaux forme un kaléidoscope. Où peut-on le trouver ?
Ce doit être mon 6° ou 7° livre. Il faut passer par moi pour les obtenir. Je reviens aux représentations d’animaux. Elles me permettent de parler de moi, d’exprimer mes idées sous un masque. Et de leur donner une force parce qu’elles s’expriment grâce à des vecteurs que tout le monde connaît. D’un dessin, d’une bulle à l’autre des contradictions apparaissent. C’est très libre.
« Ensemencer le ciel », un nouveau projet
J’ai un autre projet, « Ensemencer le ciel ». Je viens de créer un blog sur le sujet. Je travaille avec des parapentistes, un écologue, des forestiers. Il s’agit d’équiper des parapentistes de cornes d’abondance en vannerie que j’ai réalisées en apprenant auprès d’une vannière. Ces cornes seront remplies de graines. Je travaille depuis plus d’un an avec un écologue pour sélectionner des graines en fonction des biotopes, de l’altitude, du climat. Elles seront semées depuis le ciel, ce qui est différent de l’ensemencement rationnel, orthonormé. Mêlés aux graines, il y aura des moulages en céramique de fruits de fusains d’un centimètre environ. Symboliquement, le fusain accompagne l’humanité depuis ses débuts, dans les grottes dessinées. C’est un acte gratuit, inutile mais qui symbolise l’ensemencement des esprits pour faire germer des forêts mentales.