herman de vries L’Abbaye Annecy
23 janvier 2022Exposition à l’Abbaye Espace d’Art Contemporain du 21 janvier au 24 avril 2022. Reconduite jusqu’en 2024 à la direction artistique et scénographique de l’Abbaye, La Fondation Claudine et Jean-Marc Salomon pour l’Art Contemporain inaugure un cycle sur la nature avec herman de vries. Talpa a rencontré Aline Vidal, galeriste parisienne de l’artiste, Jean-Marc Salomon et Xavier Chevalier, régisseur de la Fondation et lui-même artiste.
Entrée libre vendredi, samedi, dimanche 14h-19h
Visite commentée gratuite sur réservation samedi et dimanche à 15h
Aline Vidal
Vous connaissez bien le travail d’Herman de Vries. Que ressentez-vous en découvrant cette exposition ?
Herman l’a conçue comme une mini-rétrospective. C’est touchant. Je reconnais des œuvres que j’ai vues dans des Biennales, dans de grandes expositions. Ici, c’est une concentration de toute son œuvre, sans chronologie. Je trouve très beau que certaines, des années 60/70 en côtoient de toutes récentes. On voit que son univers est absolu et ne nécessite pas de chronologie. Les œuvres ont vraiment été choisies pour ce lieu.
Quand on entre, on a vraiment l’impression d’être accueilli.
Herman serait content de vous entendre. Il aime qu’on soit accueilli, la joie.
Les lois de la nature (« De natura rerum »)
On retrouve une sage effervescence dans l’alternance de l’ordre et d’une forme de désordre, dans le rythme, l’ordonnancement.
Il y a dans la nature deux lois. La loi mathématique, l’ordonnancement et celle du désordre absolu, du hasard. Nous vivons avec les deux, en permanence. C’est ce que l’on retrouve dans son travail et en chacun de nous. Le travail d’Herman de Vries est empreint de beaucoup d’humanité, d’humanisme. Regardons le monde à travers les plantes, les éléments naturels qui le composent, à travers toute sa diversité qui renvoie à la nôtre.
Jean-Marc Salomon
J’ai rencontré le travail d’Herman de Vries en 2015, à la Biennale de Venise. J’ai été particulièrement frappé par ses frottages à la fois monochromes et en couleur. C’est très minimal. Il s’intéresse à la terre, à la nature depuis les années 60. Puisque nous réalisons un cycle sur la nature, c’était l’occasion de travailler avec lui. Il est paradoxalement méconnu en France.
L’exposition dégage une impression très zen.
Son travail repose sur une approche philosophique. Herman est bouddhiste. D’où ce respect pour la nature que l’homme vient perturber, la contemplation, le calme. Une autre partie de son travail consiste en des dessins qui relèvent de la performance. Ils sont plus forts. Celui-ci est un hommage à Janis Joplin avec laquelle il a fait un voyage au Népal.
Le rythme de la nature
De ce calme se dégage malgré tout un rythme.
Il vient de la nature elle-même. Herman regarde des herbes, il les prend entre deux plaques de bois. Par la suite, il les met sous plaque de verre dans son atelier sans reprendre leur disposition. Il est fidèle au groupe NUL duquel il a fait partie dans les années 60 : l’artiste n’intervient pas sur la nature par son travail. La subjectivité de l’artiste disparaît pour montrer uniquement une peinture, une couleur…Là, Herman de Vries nous montre uniquement la nature.
Xavier Chevalier
J’ai eu la chance de rencontrer Herman de Vries. Un grand monsieur tel un sage, un chaman dans son village du côté de Nuremberg. De grands artistes ont été ses amis. Il en parle très simplement. Ils créaient une dynamique radicale. J’ai été touché de voir qu’il fonctionne de manière très familiale, avec sa fille, sa femme, depuis trente ans avec la même assistante. C’est une sorte de partage et de promenade éternelle.
Les démarche artistique, personnelle, humaine sont confondues.
D’où cette grande promenade faite de prélèvements, de cueillette, de méditation. Son travail est relié à des approches presque préhistoriques, comme marquer au charbon de bois. Et puis, seul devant sa feuille, il va réaliser son travail d’un jet, comme un artiste de Street Art. Il est très respectueux de toute matière vivante.
La nature du monde
Cette dimension écologique concerne aussi l’humain.
C’est un travail cohérent, oui. Même s’il ne retouche pas la disposition des éléments qu’il prélève, on sent le vent, son énergie. Il est presque comme un scientifique qui constitue ses collections…
Un entomologiste qui présente ses insectes bien rangés…
Il joue avec l’abstraction, avec la figuration. Il reprend un bois rongé par les insectes et celui-ci devient une sculpture.
Qui évoquerait un dessin de Victor Hugo.
Il a voyagé partout dans le monde, a rencontré plein de gens et en a retiré quelque chose de profondément humain. Il est très simple, très respectueux de tout.
Le mot de Talpa
La taupe étant en phase aigüe de physique quantique, encore une citation de Helgoland écrit par Carlo Rovelli « L’information augmente lorsque nous effectuons une observation. » Ce n’est donc pas le monde qui change mais le seul fait de l’observer le fait changer ! « Le cubisme et la théorie quantique s’éloignent tous les deux de l’idée selon laquelle le monde peut être représenté de manière figurative. Les tableaux cubistes superposent souvent des images inconciliables d’un objet ou d’une personne, prises de différents points de vue…. » À force de montrer la nature telle quelle, Herman de Vries nous amène à la voir autrement ! Plus loi, Carlo Rovelli cite Bertrand Russell « Le matériau brut dont et fait le monde n’est pas de deux sortes, la matière et l’esprit ; il est simplement arrangé en différentes par ses interrelations : nous appelons certaines structures mentales, d’autres physiques. »
Pourquoi l’identité.. ?
« Pourquoi l’identité et la différence ?
Pourquoi la permanence, l’impermanence,
À la fois la permanence et l’impermanence, Pourquoi aucune des deux ?
Nagarjuna Traité du Milieu ( Il y a environ deux mille ans)
Le JEU
On retrouve l’identité et la différence indissociablement liées dans les today , different, identic, this. L’ordre et le hasard atomistes dans la présentation ordonnée de feuilles, comportant quelques « accidents » et des feuilles présentées dans l’ordre –désordre dans lequel, tombées de l’arbre, elles reposent au sol. Et puisqu’il s’agit de tellement voir que l’on finit par voir autre chose, pourquoi pas Philémon et Baucis dans both sides ? Ici ou là, la pluie d’atomes que Lucrèce nommait clinamen ? Dans le refus d’Herman de Vries d’employer les majuscules et de cautionner la moindre hiérarchie une volonté d’anarchie qui retisse sans cesse de nouveaux liens. « Anarchiste, c’est l’observateur qui voit ce qu’il voit et non ce qu’il est d’usage que l’on voie. » Paul Valéry.
« eigenblut », à droite, et détail d’un collage de tissu, sans titre
Se laver, s’alléger
De cette exposition se dégage une spiritualité zen. Le tapis de lavande y participe par la vue et la senteur. Étymologiquement, la lavande a à voir avec l’idée de laver. Nous ressortons « lavés » de ce séjour chez Herman de Vries. Un lien cependant persiste avec elle, même lorsque nous l’avons quittée. Il vient peut-être de cette lecture très personnelle : eigenblut est composé du sang de l’artiste. Vers l’entrée de l’exposition lui répond une œuvre sans titre, un collage qui présente une bande de tissu. Éventuellement un lange d’après un renseignement donné par Aline Vidal. Cette exposition sans titre pourrait se nommer « La vie ». Elle crée en tout cas un nouveau cordon ombilical avec la nature et nous-même.