Alice Chemama,un regard ouvert sur la Haute-Savoie

Alice Chemama,un regard ouvert sur la Haute-Savoie

20 décembre 2021 Non Par Paul Rassat

Rencontre avec Alice Chemama en dédicace chez BD Fugue / Annecy pour Dans l’ombre du Mont Blanc.

Une histoire d’amour avec la Haute-Savoie

Le titre et la couverture de l’album présentent une sorte de contraste. Le Mont Blanc, l’ombre, et puis vous passant par là. Et à lire la BD on se dit que c’est une histoire d’amour sans coup de foudre au départ. Quelque chose se construit à cause ou grâce à certaines difficultés.

C’est beau ! Je n’y avais pas pensé comme ça, mais pourquoi pas ? Cette BD n’était pas vraiment préméditée. La matière dont je disposais a imposé le récit. Je me suis dit « Ça il faut le raconter, ça aussi… », même si les thèmes peuvent paraître différents et disparates, le tout raconte la région. On voit au début de l’album que je suis arrivée avec une vision plutôt faite de clichés. Adopter toutes sortes d’angles différents m’a permis d’en sortir.

Narration personnelle

Comme l’idée qu’on se fait d’un musée de l’horlogerie ne fait pas trop rêver.

Je m’étais pourtant proposé d’y aller puisque ça fait partie des spécialités de la région.

Vous avez déjà eu des réactions à votre album ?

Mes amis sont contents. En dédicaces je n’ai que des retours positifs. Les gens en profitent pour me raconter leurs anecdotes. Certains m’écrivent pour me remercier d’avoir parlé de leur région. Il arrive qu’ils se reconnaissent dans tel ou tel passage. Je n’avais pas eu ces retours avec Zola, que je n’avais pas scénarisé. Ils étaient positifs mais moins personnels.

L’exotisme savoyard

Peut-être parce que vous vous mettez en scène dans cet album. Le projet pédagogique que vous aviez au départ tombe à l’eau à cause du confinement…

Il faut s’adapter. Je pensais que ça pourrait donner un album, mais ce n’était pas l’objectif initial. Comme je sortais de la BD précédente, j’avais envie d’une autre démarche. Et puis le confinement, j’avais de ma matière…

Vous avez candidaté pour une résidence. Vos vœux vous portent vers des lieux lointains, exotiques et vous y glissez la Haute-Savoie. C’est bizarre ?

Ce n’était pas dû à une pub pour la raclette ! Ma première liste comportait la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion. Pourquoi pas un lieu qui n’a rien à voir, plus proche ?

Finalement la Haute-Savoie est aussi exotique ?

Oui, même si je n’ai pas trouvé les Savoyards si différents. J’ai aussi côtoyé des amis qui ne sont pas Savoyards d’origine.

Diversité et relativité des points de vue

Ce que j’ai le plus apprécié de tout cet album et qui révèle votre subjectivité, c’est ce moment où vous êtes à ski et vous notez «  Pente de beaucoup de degrés ».

Je suis dans la précision ! ( rires).

Vous naviguez entre les mythes et la réalité. Ce qui ouvre à plein de regards différents, comme le vôtre comparé à celui de votre guide, Greg.

Je que j’ai fait de l’Aiguille du Midi est pour moi le truc le plus intense sportivement que j’ai pu accomplir, pour le guide c’est comme un footing quotidien. Quand je montre des photos à mes collègues d’atelier, on me dit « Tu es malade, c’est un truc de fou ! » Mes potes de Sallanches me répondent « Je l’ai fait six fois ». Je suis plutôt ridicule ici et une héroïne à Paris.

Une savante mayonnaise faite d’actualité, d’Histoire…

Vous passez aussi de l’actualité, du COVID et du papier toilette (page 54) à l’Histoire. Celle des deux alpinistes en 56, les avions écrasés en montagne et devenus des légendes, le Malabar Princess et le Kangchenjunga.

On parle plus du premier, sans doute parce que le nom de l’autre est plus difficile à mémoriser et à prononcer. C’est important un nom.

C’est vraiment agréable de jongler comme vous le faites avec la chronologie, de passer de notre époque à d’autres moments.

Quelques lecteurs, très peu, sont un peu perturbés par cette organisation du récit.

On voyage dans la montagne, dans le temps, de l’histoire à l’actualité.

Je n’arrive pas à me concentrer sur un seul angle. Il y en a tellement ! Ma façon de voir fait que je passe d’un regard à un autre. Au moment d’écrire une histoire je n’arrive pas à sacrifier un point de vue.

La fabrication des mythes

Nous avons parlé de mythes et de légendes. Vous évoquez le plateau des Glières et la Résistance. C’est intéressant au moment où un candidat à la présidentielle soutient le rôle de Pétain. Vous parlez des Groupes Mobiles de Réserve, les GMR commandés, par Vichy.

J’ai appris tout ça, le rôle de la police, en m’informant sur ce moment de l’Histoire. Pour traiter ces événements, je n’avais droit à aucune subjectivité. Je me suis inspiré du livre de l’association sur les Glières. La personne qui l’a écrit m’a relue, m’a conseillé des corrections, des notes de bas de pages. J’ai été intéressée aussi par la fabrication d’un mythe, la création d’une histoire aussi importante dans notre culture. Nous, humains, avons besoin de ces histoires. Je travaille en ce moment à ce besoin de créer des mythes et plus particulièrement dans notre relation à l’animal. En retour, les mythes que nous avons fabriqués conditionnent notre relation aux animaux, aux prédateurs plus particulièrement.

Un esprit montagnard ?

Est-ce que vous avez découvert un esprit montagnard ?

Trois de mes amis partaient faire ce matin une rando en montagne. Ils mettaient leurs appareils anti avalanche dans le sac comme si c’était normal. « Ah, tiens, je prends mon appareil parce que je risque de mourir dans une avalanche aujourd’hui. Super, on y va ! » La relation au risque est différente.

C’est peut-être le prix d’une forme de liberté.

Je les comprends et j’aimerais avoir leur décontraction. Leur niveau technique leur permet ainsi d’atteindre des décors incroyables. Un ami est mort il y a un mois, mais ils continuent. Ils ne sont pas irresponsables, ils ont une autre façon de voir. Pour eux la vie n’est pas assez intense et intéressante sans cette relation au risque. Pour les autres, comme moi, c’est un peu dur à intégrer !