Baptiste Depoorter, pâtissier jeune et atypique,

Baptiste Depoorter, pâtissier jeune et atypique,

19 décembre 2021 Non Par Paul Rassat

Talpa avait découvert Baptiste Depoorter à Toquicimes. L’envie de  mieux connaître ce jeune chef pâtissier du Palace de Menthon  est née aussitôt. Rencontre dans le cadre exceptionnel où il exerce actuellement.

(Photos de Gilles Camillieri)

La norme pour un pâtissier ?

Baptiste, vous avez 23 ans. Est-ce que c’est l’âge normal pour être chef pâtissier dans un établissement comme le Palace de Menthon ?

Qu’est-ce qu’un parcours normal ? J’ai eu la chance, effectivement d’obtenir ce poste ici. Je n’ai cependant pas eu des périodes faciles avant. Il m’a fallu donner beaucoup de moi parce que je n’ai pas appris suffisamment en entreprise, ni à l’école. J’ai dû beaucoup m’investir, par exemple en installant une cuisine chez moi. Mes parents m’ont laissé aménager leur cave…

Mais en échange ils pouvaient déguster vos préparations !

C’était donnant-donnant (rires). C’est ce qui m’a réellement permis de travailler et de m’améliorer.

Volonté et accompagnement

Vous parlez de chance. Vous l’avez sacrément provoquée.

Oui, mais certains ont la même volonté et n’aboutissent pas. Ma principale chance a été que mes parents me suivent. Ils m’ont toujours soutenu, même lorsque ça se passait mal et que je pensais à arrêter le métier. Pendant le COVID, j’ai passé des heures à travailler en bas, tous les jours dès le lever.

Découvrir et faire sien, à sa façon

En plus de cette volonté, de la ténacité, est-ce que vous aviez en tête des modèles ? Hermé, Conticini ou d’autres ?

Quand on sort du domaine scolaire, ce sont ces grands noms qui reviennent, oui. À l’école, ce sont leurs recettes qu’on réalise. Mais les nouvelles technologies, comme Instagram que je pratique beaucoup, permettent de découvrir d’autres pâtissiers. Ils n’on peut-être pas une grande renommée mais un savoir-faire, des techniques, une vision de la pâtisserie, un design personnel. Il est possible de s’en inspirer pour les refaçonner. Je mélange un design qui m’a séduit à un goût et je vois ce que ça donne.

Je voulais savoir si vous aviez une identité professionnelle. Vous avez commencé à répondre.

Je suis trop jeune. Je me base sur ce que je vois et e travaille dessus pour voir si c’est ce qui me ressemble le plus, si, travaillé à ma façon, ça me plaît.

Design, présentation

Vous expérimentez, vous interprétez.

Je travaille tous les designs différents que je peux voir sur les réseaux ou que j’imagine. Il m’arrive de me lever dans la nuit pour écrire ou dessiner rapidement. Dans quelques années mon identité émergera, actuellement elle se construit.

Vous parlez beaucoup de design. Pourquoi est-ce si important ?

C’est ce que voit d’abord le client.

Il ne faut pas le décevoir ensuite.

Si le dessert est beau, l’esprit du client sera préparé à l’apprécier. La couleur, la mise en forme, le relief, la diversité des textures participent à l’esthétique.

Crémeux pécan, marmelade Granny Smith manzana, pop corn caramélisé, sablé cacao et sorbet manzana. Une farandole de goûts qui s’équilibrent : fraîcheur, longueur en bouche…

Une vocation de pâtissier bien marquée, très tôt

Travailler en boutique ou bien dans un établissement comme le Palace, c’est différent.

Je le sais d’expérience puisque j’ai fait mes formations en boutique. À propos de formation, j’étais bon élève mais je m’ennuyais au collège. J’avais appris quelques bases très simples avec ma grand-mère alors que j’avais 6, 7 ans. Quand j’allais la voir, j’étais le roi du monde ! Elle me laissait tout faire. Lorsque j’ai décidé de m’orienter en boulangerie-pâtisserie, il a été difficile de convaincre mes professeurs. Pour eux, mes notes étaient trop hautes pour cette voie. J’ai été refusé en CAP et en Bac pro. J’ai douté un moment mais au fond ma conviction en a été renforcée et mes parents m’ont apporté leur soutien parce qu’ils avaient compris ma démarche. Il a fallu discuter avec mon professeur principal et avec le principal du collège pour les convaincre. Ce dernier a accepté de soutenir mon dossier pour un Bac pro.

Déstructurer, expérimenter

On a vu que vous cherchez, vous expérimentez, comment définiriez-vous votre pâtisserie actuelle ?

Elle est très déstructurée. C’est pour cette raison que j’ai quitté le travail en boutique. Tous les desserts  y sont réalisés en taille unique, portionnés. Pour tenir la journée, voire deux jours, ils sont davantage collés à la gélatine, recouverts de glaçages un peu plus épais pour qu’ils ne sèchent pas en vitrine. Il existe des boutiques qui font des desserts magnifiques, comme chez Yann Couvreur. Le prix de leurs produits le permet.

Rester le plus naturel possible

C’est intéressant parce que dans le mot design beaucoup de gens mettent ce que vous ne faites pas, ces glaçages, un apparat.

C’est du folklore. Il faut savoir doser. Je n’utilise un colorant que pour relever le dessert et lui apporter la touche qui va le rendre magnifique. Je n’utilise pas de glucose ni d’adjuvants de ce type.

Quelle est la réaction de la clientèle ?

« Waouh ! » Au Palace j’ai toute liberté pour ma créativité. Si le chef met à sa carte un plat lié au terroir, je propose un dessert qui soit en écho. J’ai liberté totale cependant pour le design, les associations de saveurs.

Et voyager pour expérimenter encore

Comment voyez-vous votre avenir dans ce métier ?

Quand je partirai d’ici, ce sera pour aller à l’étranger. J’ai envie professionnellement et personnellement de découvrir d’autres cultures. Je souhaite intégrer un hôtel haut de gamme, avec un chef reconnu. L’Europe de l’Est me tente. Les USA, l’Amérique du Sud, l’Argentine en particulier…les Émirats arabes. Quelqu’un m’attend depuis 4 ans aux USA.

Curiosité et adrénaline comme moteurs

Combien de temps reste-t-on en moyenne dans un établissement ?

Ça dépend de chacun. Moi, j’ai la bougeotte. Avant le Palace, je faisais 5/ 6 mois par-ci, par-là. Je voulais aller voir ailleurs. Il ya eu aussi l’idée de challenge, avec l’ouverture de deux restaurants à Lyon. Je ne le referai pas, j’ai perdu douze kilos ! On ne s’en rend pas compte quand on est dedans parce que l’adrénaline nous tient. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on aime le service. Sinon, qui aimerait se faire crier dessus et courir dans tous les sens ? À la fin du service, on en a bavé grave, on a couru comme jamais, mais on l’a fait ! C’est une super sensation qui , liée à notre passion, permet de continuer.

L’image de la pâtisserie et la réalité

La pâtisserie est de plus en plus mise à l’honneur alors qu’il n’y a pas si longtemps les artisans étaient ignorés.

Oui, mais les médias donnent une vision trop simple de la pâtisserie. On a l’impression que c’est facile parce que la télé en fait du spectacle, du show. On ne voit pas toute la réflexion, la préparation nécessaires, les ratés. Je ne travaille pas depuis longtemps mais j’ai pu constater à quel point l’image du pâtissier est devenue positive.

Circuits courts, saisonnalité…

Comment la pâtisserie peut-elle encore évoluer ? La gastronomie se tourne de plus en plus vers la saisonnalité, le terroir.

La pâtisserie va suivre aussi ce chemin. Les circuits courts ,on y est déjà mais on va intensifier la démarche. Elle constitue un mode de travail et un mode de vie plus sains. Et puis la qualité des produits y gagne. Ici, une myrtille a vraiment un goût de myrtille, pas comme un fruit qui a voyagé. Tous mes crémeux sont désucrés, comme mes mousses. Je n’utilise pas de sucre blanc.

Faire évoluer le goût de la clientèle

Cette façon de procéder risque de ne pas satisfaire une clientèle internationale qui aime retrouver des desserts standards.

Les étrangers ne souhaitent pas forcément goûter à du cent pour cent savoyard. Venant des USA, ils aiment retrouver un cheesecake, par exemple. Le challenge est de leur proposer autre chose. C’est d’autant plus intéressant si on arrive à les satisfaire.

[ La curiosité pousse alors à demander à Baptiste de parler d’un véritable ratage. Un ratage ? Non, pas vraiment. Des réglages, des améliorations plutôt]

Toujours se remettre en question

Se priver de la facilité de certains artifices rend inventif, ingénieux.

Ça oblige à se remettre en question, à retravailler les produits pour trouver les bons équilibres. C’est plus dans l’assemblage élément par élément que peuvent se produire des ratés que dans la conception d’ensemble.

D’ici quelques années vous aurez toute votre bibliothèque de goûts, de formes…

Non, ça ne s’arrêtera jamais. Il y a toujours des choses à découvrir, de nouveaux produits,  des surprises. Heureusement car sinon notre métier serait lassant.

Vous donnez l’impression de ne pas aimer vous ennuyer.

Quand je suis en repos, je m’ennuie ! Parfois je préfère être dans mon labo à m’amuser. C’est ma passion.