Amour et cuisine : Lorin Catana

Amour et cuisine : Lorin Catana

17 mars 2025 0 Par Paul Rassat

Amour et cuisine se confondent chez Lorin Catana. Rencontre avec ce chef passionné qui cuisine ses émotions amoureuses.

— Comme j’ai besoin d’être moi-même, j’ai décidé de me débarrasser de tout ce que j’avais appris de la cuisine française. Je n’ai d’ailleurs jamais réussi à maîtriser parfaitement ce genre de technique, parce qu’au fond de moi, ça ne m’a jamais intéressé. Pour moi, la cuisine est un art qui part de mes émotions pour créer des plats. Elle ne peut pas se réduire à la satisfaction d’un besoin alimentaire.

Qu’est-ce qui t’a amené à la cuisine ?

À dix-neuf ans j’étais étudiant et j’avais besoin d’argent pour sortir. J’ai donc trouvé un boulot de plongeur, très éprouvant. Et puis un jour le cuisinier a eu besoin de quelqu’un pour ciseler du persil. Il fallait aller vite, j’ai ciselé mes doigts avec le persil, j’ai été sévèrement réprimandé…et un déclic s’est produit : un défi pour répondre à sa provocation : « Toi, cuisinier ? J’y crois pas ! » On m’a ressorti cette phrase à plusieurs reprises, même en Angleterre, dans un restaurant étoilé. J’ai décidé de prouver que je savais cuisiner, pas pour eux mais pour moi.

C’est pourquoi je fais beaucoup d’expérimentations, je tente énormément avant de proposer des plats.

Est-ce que tu peux préciser ? Le menu que tu proposes commence par Le dévoilement.

Celui-ci se compose de cinq petits plats. Des mini bouchées qui sont connectées et présentées de façon à créer un cheminement sensuel. Beaucoup de mes réalisations font référence à des amours que j’ai vécus, à des jeunes filles. Un autre plat, Derrière le rideau rouge, est relié à un tableau et au manteau rouge d’une jeune fille. Je m’inspire toujours d’émotions très fortes qui m’ont submergé. Souvent négatives, d’ailleurs ; et je les transforme en un résultat positif que je partage. La nappe froissée que j’utilise représente cette recherche permanente, comme mon attachement à la couleur noire qui met tout le reste en relief. Cet autre plat, Une chanson d’Hanamizuki [une fleur] est né d’un moment passé sur le Pâquier avec une jeune fille japonaise d’une beauté incroyable. Il a été le déclic qui m’a fait me consacrer à la cuisine japonaise. Pour me déstresser, cette jeune fille m’a dit de poser ma tête sur ses jambes et elle a chanté Hamanizuki. Elle était habillée de bleu et de rose, le Pâquier est vert : j’utilise les mêmes couleurs pour élaborer mon plat.

Je n’oublie pas cependant que chacun de mes plats repose d’abord sur la recherche du goût. Il doit être aussi puissant que mes émotions. Les Japonaises ne portent pas de parfum ; la peau de l’une d’elles sentait naturellement la cardamome. J’ai donc créé un plat qui sent la cardamome mais qui n’en a pas le goût puisque je n’en mets pas. Il y a des fleurs de sureau, des myrtilles, du gingembre… Je voyage entre des abstractions et des émotions qui me permettent d’associer chaque mouvement, chaque odeur avec quelque chose qui fait partie de ma vie.

Je n’utilise plus de sel mais je le remplace par des misos fermentés, de la sauce soja, des algues. Je suis attiré par la complexité, la présence et l’absence. Lorsque je sers un dîner, je crée l’ambiance en associant la couleur noire des murs, la nappe savamment froissée, la musique qui imprègne totalement l’espace sans être très forte. C’est une ambiance immersive dont je ressors épuisé parce que je donne tout de moi-même.

La cuisine japonaise exige une technique parfaite. J’ai accepté de faire les efforts nécessaires pour l’acquérir parce que j’étais motivé, passionné. Le mouvement pour la découpe d’un poisson, la taille des légumes ressemblent au jeu d’un musicien ou à l’élan d’un pinceau. J’adore faire les mouvements avec une seule intention. C’est beau ! Parvenir à cette confiance prend énormément de temps.

Oui, même si je suis passé par des restaurants, je suis un sorte d’autodidacte. J’ai ma propre façon de travailler, de m’organiser.

Mon premier contact avec la cuisine japonaise a eu lieu en Angleterre. Je regardais une video qui montrait Seiji Yamamoto, un maître de Kaiseki, une cuisine en plusieurs étapes. C’est la façon la plus raffinée de servir quelqu’un au Japon en respectant le rythme des saisons. On sert d’abord un élément cru, puis un grillé, un autre à la vapeur, une soupe, un élément qui lave le palais, en général quelque chose de fermenté et le dessert. Tous les composants du repas sont reliés par un fil représentant la nature. Les assiettes elles-mêmes sont très importantes. Elles doivent être en connexion avec les émotions du cuisinier, avec la nature. Tout doit être en harmonie.

Cette cuisine demande de l’attention, du temps. Il est impossible d’aller vite parce qu’on agit en pleins conscience. Tu donnes tout , toute ta vie en ce moment pour cet ingrédient. Ça nécessite une organisation parfaite et une présence totale.

C’est pourquoi, après avoir travaillé au domicile de mes clients, j’essaye maintenant d’utiliser des endroits que je loue. L’immersion est plus poussée. Les convives voient tout de mon travail. Ils le suivent au point que les conversations s’interrompent souvent. Même la lumière est étudiée pour participer à l’ambiance.

Qui fait appel à toi ?

Il n’y a pas de profil particulier. Des étrangers souvent, plutôt des jeunes mais ça n’exclut pas des gens plus âgés. Ce qui séduit aussi, c’est la fraîcheur de produits sains, sans gras mais qui ont un côté gourmand. Le dressage des assiettes est une composition qui peut ressembler à un jardin foisonnant dont la complexité se découvre au fur et à mesure.

Il faut ajouter à tout ceci quelques ingrédients venus tout droit du Japon, dont certains en exclusivité parce que de fabrication totalement artisanale. Comme ce miso fermenté d’une complexité surprenante.

La complexité ajoute aux contrastes que je recherche.

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Lorin Catana répond parfaitement à cette définition qui séduit Talpa : « Un cuisinier doit se cuisiner lui-même pour s’offrir à ses convives, un artiste se peint ou se sculpte… « Chaque créateur est la matière de son travail. Beaucoup de cuisiniers affirment qu’ils donnent de l’amour, ou qu’ils cuisinent avec amour. C’est ce que réalise Lorin.