Bipolarité : témoignage, tous les aspects de  la pathologie

Bipolarité : témoignage, tous les aspects de la pathologie

26 juillet 2021 Non Par Paul Rassat

Rencontre pour un témoignage et une plongée au cœur de la bipolarité. Il sera aussi question de l’association Argos dont vous pourrez consulter le site http://www.argos2001.com/

Mise au point

Il me faut dire quelque chose en préalable. J’ai fait des trucs dont je ne suis pas fier lorsque j’étais dans un état second à cause de la maladie. Je n’ai pas de problème à en parler mais, réellement, je n’en suis pas fier. Je ne me défausse pas de situations dans lesquelles des gens ont pu être victimes. L’humour m’est cependant indispensable pour avancer dans ma vie.

Définition et expérience de la bipolarité

En gros, pour le commun des mortels, les bipolaires piquent des crises, présentent une grande amplitude dans la variété de leurs comportements. Ils passent d’un état à un autre.

Il y a plusieurs types de bipolarité. Tu n’as pas les mêmes choses en type un, deux ou trois. Certains vont être seulement dépressifs. D’autres seront hyperactifs. Quand tu es en phase « up » ça va très vite. Les constructions mentales sont incohérentes mais te paraissent la réalité. La dernière fois que j’ai vécu cet état, je me prenais pour le Christ Yakusa. Des idées passent et se greffent les unes sur les autres. Pour moi, la musique joue beaucoup. Tout était partie d’une veste que j’avais achetée et qui portait le motif « Yakusa ». Mon cerveau n’est jamais aussi rapide que quand je suis dans ces états.

Surinterprétation

Quand j’étais plus jeune et pas averti de ma pathologie, il m’est arrivé de me demander si je n’avais pas été le sujet d’expériences. Je n’osais pas en parler, de peur de passer pour un fou. Dans les phases que j’évoque, tout ce que je perçois visuellement a un sens. J’y vois des références maçonniques… Tout fait sens. Mes chaussures sont beiges parce que je fais partie d’une société secrète.

Rythme effréné et risques fatals

Ce débordement de sens doit aboutir à une sorte d’enfermement ?

Le monde extérieur existe de temps en temps quand la machine refroidit un peu. Sinon tu es à 400 kilomètres/heure dans ta tête. Et alors, je suis hyper créatif. Il faut que ça sorte, produise, produise, produise. C’est intenable pour les autres. Plus la phase Up est longue, plus on s’épuise sans en être conscient. C’est là que surviennent de nombreux suicides.

Déphasement        

Cette créativité effrénée  ne crée pas une sorte de dépendance ?

Tu trouves que tout est lent, les autres ne vont pas assez vite. Dans ces phases tu crames de l’énergie. En général ça ne s’arrête pas tout seul : tu te retrouves dans une maison avec des gens très gentils, attaché, et on t’administre des cachets.  Rien n’est plus traumatisant : je me suis retrouvé attaché comme un animal sur un lit. Sans aucune explication. La première fois que j’ai vécu cet état, j’étais au bord d’une falaise, muni de tous les pouvoirs, dont évidemment celui de sauter et de voler. Je me suis laissé arrêter une heure plus tard. Pour m’échapper par une fenêtre de la mairie où j’étais retenu ! Si on m’a attaché à l’hôpital, c’était pour mon bien. Je dois le reconnaître, même si ça me coûte de le dire.

Sortir de la bipolarité ? Le rôle de l’association Argos

Comment es-tu passé de ces états à celui de guérison ?

On ne peut malheureusement pas parler de guérison, mais d’état stabilisé. J’avais toujours été anti-traitement. Je ne peux parler que de mon cas, sans les termes techniques que je ne maîtrise pas. Je peux en revanche parler de l’association Argos 2001. Tous les premiers samedis du mois on se voit, on aide les souffrants et les aidants. Nous sommes une vingtaine. Je me force à y aller régulièrement. C’est très dur parce que j’y vois des gens dans les états par lesquels je suis passé et dont je souhaite ne pas me souvenir. Ce n’est pas une maladie comme beaucoup d’autres. Tu vrilles sans t’en rendre compte et il est possible qu’on n’arrive plus à te rattraper.

Échapper à l’enfer

L’association Argos fait un travail auprès des proches en panique. Elle a renseigné et soutenu ma mère. C’est vital parce que rien n’est prévu quand tu es en crise et que tu dépenses en un mois des années d’économies. Quand tu redescends de ces phases, tu te retrouves dans un champ de ruines. Tu as tout perdu, c’est l’enfer de la honte, du remords, de la culpabilité. L’enfer, vraiment.

L’importance de l’entourage

Les proches, l’entourage sont importants.

Ce sont mes parents ou mon épouse qui me signalent si je suis « up ». Je suis passé trois fois par l’hosto. La première fois, on n’était pas conscients que j’étais malade. J’étais allé pieds nus d’Annecy à Talloires à deux reprises. Pour m’emmener  à l’hôpital, mon père et l’un de mes meilleurs amis ont dû me mentir pour m’amener à l’hôpital et me dire que je n’y resterais pas. C’est très dur, très choquant pour les proches. Certains ne m’ont pas parlé pendant des années.

Le diagnostic de bipolarité

D’où l’intérêt d’un diagnostic pour informer, contextualiser.

Sur cette maladie, le diagnostic c’est dix ans. On croit d’abord que c’est de la dépression, du burn out. Et puis si on dit au bout de cinq ans à une personne qu’elle est bipolaire, il faut qu’elle l’entende et l’accepte. Si on te dit « Monsieur, il ne faut plus travailler autant », alors que notre société prône le travail, tu es mort. J’ai vécu un changement de vie énorme qui a nécessité une transition très difficile. Les conseils des relations ne sont pas toujours très pertinents même si tout le monde pense bien faire. En revanche, quand j’interviens chez Argos, j’ai l’expérience de la maladie.

Maladie invisible et injonction de normalité

La plus grosse difficulté qui m’apparaît quand j’écoute les bipolaires est le rapport au monde et l’injonction à être normal, à avoir un emploi … La bipolarité est l’une des maladies (invisible ) les plus handicapantes . La phrase qui me gonfle le plus est «  quand on veut on peut. » Quand on a cette pathologie on fait comme on peut. N’écouter pas ceux qui ne sont pas aidants …
Faites de votre mieux, parce que vous devrez vivre avec … Jusqu’à un miracle de la médecine. 

Accepter le diagnostic

Quand le diagnostic a été fait pour toi, les choses ont changé rapidement ?

Le diagnostic a été posé à l’hôpital par un psychiatre. Mais je pensais qu’il y avait une confusion avec le HQI. J’avais décidé que je n’étais pas malade. Un peu auparavant, une secte que j’avais consultée m’avait déclaré que c’était mon véritable moi qui poussait  et dérangeait le système.

Il y a une phase entre le diagnostic et l’acceptation. Là encore, l’entourage, des amis pensant bien faire peuvent être désastreux. « T’as pas besoin de cachets, ils se sont trompés de diagnostic etc.  Il faut absolument passer par une contre expertise.

À défaut de solution rationnelle, tu as consulté une secte. Des gens exotiques, qui ne comprennent rien à ce que tu vis. Pour eux, c’était mon véritable moi qui poussait pour émerger. Il fallait  bien sûr que je fasse plus de stages payants pour m’ouvrir …

Acceptation, traitement, recherche d’équilibre

J’ai cru comprendre qu’avec cette pathologie, on n’est jamais totalement tiré d’affaire. Mais tu en parles, ce qui prouve que tu la tiens à distance.

Je suis passé par beaucoup de psychologues, des psychiatres au CNP. J’ai changé de psy, adapté mon traitement qui a été un temps sous dosé. Mon équilibre passe par une prise  quotidienne de lithium. J’ai refusé cette solution avant de péter de nouveau les plombs, ce qui a été très difficile pour mon entourage, pour la femme en particulier. Il n’y a qu’avec un traitement adapté, et surtout une HYGIENE DE VIE que tu peux t’en sortir : ça c’est le minimum vital.

Aider les autres : Argos

Maintenant que tu as retrouvé ton équilibre, tu éprouves un profond sentiment de responsabilité.

Je n’en parle pas pour raconter ma vie. Je souhaite aider des gens qui traversent des états que j’ai connus. Autant j’ai du mal à lire sur la bipolarité, autant les échanges chez Argos me sont importants. Notre pathologie nous rend très sensibles à beaucoup de choses et de les comprendre. Elle touche des artistes. La série Homeland met en scène un personnage central bipolaire. Tu vois que plus tu utilises l’énergie liée à la bipolarité, plus tu vas vers le déséquilibre. On n’a jamais réussi à prouver scientifiquement le lien mais une grande partie des gens bipolaires ont vécu un choc psychique. J’ai cherché du côté des chocs post traumatiques.

Arriver à se comprendre malgré et avec les autres

Tu cherches toujours à comprendre.

Moi oui. Trois psys m’ont diagnostiqué HQI. J’ai entendu pendant 40 ans que j’étais un con. Je continue à vouloir comprendre. On m’a confirmé à plusieurs reprises  mon HQI. C’est drôle de voir que personne ne remarque ton intelligence pourtant évidente. De ton côté, comme toute personne intelligente, tu doutes…en particulier de ta propre intelligence.                                                                          — Être plus intelligent que la moyenne ou bien beaucoup moins revient finalement au même.

J’ai du mal à réécouter en permanence les mêmes discours, les mêmes informations. Les gens plus intelligents sont finalement plus handicapés !

Quels conseils donnes-tu ?

Il faut accepter de se faire aider. Choisir un bon psy est essentiel.

Les aides utiles et efficaces

Comment définir un bon psy ?

Quelqu’un avec qui tu es bien. Avec qui tu vois que tu progresses. Un psy n’est pas un coach. Il te pose les questions qui dérangent. Il faut suivre son traitement parce que quand ce n’est pas le cas tu en vois vite les effets. Ça peut te coûter ta famille, tes relations, ton argent.

Tous ces conseils, plus Argos.

Une association dans laquelle les relations humaines priment parce qu’elles sont soutenues par une véritable expérience de la pathologie.