Opinion, vérité, paresse intellectuelle, illusions reconnues

Opinion, vérité, paresse intellectuelle, illusions reconnues

25 juillet 2021 Non Par Paul Rassat

De  Schopenhauer à Nietzsche, opération de décapage autour de la vérité et de la paresse intellectuelle.

Schopenhauer, L’art d’avoir toujours raison

Bonjour paresse

« Ce que l’on appelle l’opinion commune est, à y bien regarder, l’opinion de deux ou trois personnes ; et nous pourrions nous en convaincre si seulement nous observions comment naît une telle opinion. Nous verrions alors que ce sont d’abord deux ou trois personnes qui l’ont admise ou avancée et affirmée, et qu’on a eu la bienveillance de croire qu’elles l’avaient examinée à fond ; préjugeant de la compétence suffisante de celles-ci, quelques autres se sont mises également à adopter cette opinion ; à leur tour, un grand nombre de personnes se sont fiées à ces dernières, leur paresse les incitant à croire d’emblée les choses plutôt que de se donner le mal de les examiner… une fois que l’opinion eut pour elle un bon nombre de voix, les suivants ont pensé qu’elle n’avait pu les obtenir que grâce à la justesse de ses fondements. » 

L’opinion fait la force

 «  Les autres furent alors contraints de reconnaître ce qui était communément admis pour ne pas être considérés comme des esprits inquiets s’insurgeant contre des opinions universellement admises, et comme des impertinents se croyant plus malins que tout le monde. Adhérer devint alors un devoir. Désormais, le petit nombre de ceux qui sont capables de juger est obligé de se taire ; et ceux qui ont le droit de parler sont ceux qui sont incapables de se forger une opinion et un jugement à eux, et qui ne sont donc que l’écho des opinions d’autrui. Ils en sont cependant des défenseurs d’autant plus ardents et intolérants. »

L’insupportable insolence de prétendre juger par soi-même

« Car ce qu’ils détestent chez celui qui pense autrement, ce n’est pas tant l’opinion différente qu’il prône que l’outrecuidance qu’il y a à vouloir juger par soi-même-ce qu’ils ne font bien sûr jamais eux-mêmes, et dont ils ont conscience dans leur for intérieur. Bref, très peu de gens savent réfléchir, mais tous veulent avoir des opinions ; que leur reste-t-il d’autre que de les adopter telles que les autres les leur proposent au lieu de se les forger eux-mêmes ? »

Gavage social

Et c’est ainsi que les réseaux devinrent tuyaux sociaux de gavage. Que de chemin parcouru depuis le Propaganda  d’Edward Bernays paru en 1928. Son sous-titre est révélateur : Comment manipuler l’opinion en démocratie. Pour le plus grand bien des citoyens, bien sûr.

Nietzsche et la vérité

Dans son livre Comment vivre lorsqu’on ne croit en rien ?, Alexandre Lacroix cite Nietzsche : « Qu’est-ce donc que la vérité ? Une multitude mouvante de métaphores, de métonymies, d’anthropomorphismes, bref, une somme de relations humaines qui ont été rhétoriquement faussées, transposées, ornées, et qui, après un long usage, semblent à un peuple fermes, canoniales et contraignantes ; les vérités sont les illusions dont on a oublié qu’elles le sont, des métaphores qui ont été usées et qui ont perdu leur force sensible, des pièces  de monnaie qui ont perdu leur empreinte et qui entrent  dès lors en considération, non plus comme des pièces de monnaie, mais comme métal. » Lacroix se permet d’affirmer alors que l’art échapperait à ce jeu de dupes. Nous serions presque tentés d’y croire.

Discours politique, enfumage, théorie du complot et extrémismes

Après les Gilets Jaunes, bas les masques ? Les discours politique, managérial, économique sont tellement hors sol que la réalité qu’on nous demande de regarder en face ne s’y retrouve plus. Pas celle du plus grand nombre en tout cas. La paresse intellectuelle mène les dirigeants à une volonté réformiste visant uniquement à maintenir le système en l’état, pour le bénéfice de certains. À l’opposé, elle nourrit la théorie du complot et une appétence pour les régimes autoritaires chez ceux qui souhaitent à bon compte être rassurés. À bon compte, c’est-à-dire en simplifiant, voire en caricaturant la pensée. Il suffit alors de trouver un bouc émissaire : l’étranger, les migrants, Bruxelles, l’autre…Il n’est pas inintéressant de noter que le mot réflexion signifie aussi bien le changement de direction de la lumière que la pensée. Réfléchir serait alors la capacité à changer de direction plutôt que l’enfermement dans une pensée univoque.