Chloé Minoret, l’escalade comme esthétique de vie

Chloé Minoret, l’escalade comme esthétique de vie

25 août 2021 Non Par Paul Rassat

On ouvre bien des voies au cours d’une vie. Tous les grands événements initient de nouveaux parcours. Chacun requiert des qualités, des enchaînements particuliers qui éclairent une nouvelle facette de soi, comme la naissance de ses enfants qu’évoque Chloé. Notre rencontre imprévue a eu lieu à l’occasion d’un mariage. Voie importante ! C’était à proximité de la Roche de Solutré, voie assez facile et pépère en politique. Chloé Minoret, c’est un palmarès mais aussi une approche très personnelle de l’escalade.

Escalade et connaissance de soi

— L’escalade m’a appris à me connaître, à me situer dans la vie et à prendre confiance en moi. Jeune, j’étais très sensible au regard des autres. Les années de compétition m’ont fait grandir. Elles ont été une véritable thérapie. En remportant les championnats d’Europe, je me suis rendue compte que j’étais capable de certaines choses.

Les succès ont consolidé la confiance et l’épanouissement.

Je suis très exigeante avec moi-même. Bien sûr, ça m’a fait grandir, créer des choses, parmi lesquelles mon entreprise. J’ai pu travailler dans le domaine qui me plaît, l’escalade. Je suis énormément reconnue dans ce milieu d’hommes essentiellement.

La touche féminine en escalade

Aujourd’hui les femmes peuvent être aussi fortes que les hommes. Pas forcément dans tous les styles de grimpe, mais elles sont presque au même niveau que les hommes. Mon activité actuelle est l’ouverture des voies d’escalade. On n’y compte pas beaucoup de femmes.[ Chloé grimpait des voies classées 8A+ à vue, sans aucune préparation parce qu’on les pensait inaccessibles aux femmes]

Justement, pour ouvrir des voies il y a des approches féminines ou masculines ?

Pour moi la touche féminine est très importante. Tous les pratiquants des salles d’escalade voient bien les voies ouvertes par des filles. Elles sont plus stratégiques et moins physiques. Ça apporte autre chose. Je pense aux émotions que mes voies vont créer. Je suis très attachée à la gestuelle et moins au physique que nécessite une voie.

L’importance d’une esthétique

C’est sans doute une approche globale que tu vas retrouver dans d’autres activités.

Même dans la pratique d’un autre sport, je recherche une esthétique du mouvement. J’adore le mouvement coulé du ski de fond, les courbes du ski de piste.

Certains recherchent l’efficacité pure, d’autres l’esthétique. Il est possible d’associer les deux ?

Quand j’ai gagné mes premiers championnats de France Jeunes, je n’arrivais pas à faire mes tractions. Comme je n’étais pas physique, j’ai appris à grimper pendant des années uniquement avec la technique et de la stratégie, la gestion de mon effort et du mental. Quand j’ai fait un peu de physique pour progresser, je suis devenue plus forte. Les grimpeurs qui partent avec une base uniquement physique vont vite être limités. Les stratégies que tu développes pour compenser le physique sont la véritable base qui te permet de progresser.

Évoluer, progresser, s’adapter

C’est une évolution permanente.

Je progresse encore tous les jours. J’aimerais travailler des voies dures, en extérieur. À chaque voyage, à chaque sortie en extérieur le rocher, l’environnement sont différents.

Ouvrir des voies est, en plus, une aventure permanente, une découverte. Tu innoves et c’est ta tournure d’esprit depuis toujours.

Mon expérience des voies en extérieur me pousse à recréer en intérieur une gestuelle particulière. C’est le moyen de chercher à faire plaisir aux gens.

C’est une sorte de conversation. Tu fais ça pour les autres.

Il est parfois intéressant de les déstabiliser pour les faire progresser. J’adore aussi ouvrir les voies faciles. Je le fais pour Climb Up, un réseau de voies d’escalade destiné aux personnes qui n’ont jamais grimpé auparavant : je dois leur permettre d’arriver au sommet. Qu’il s’agisse de débutants enfants, adultes.

La confiance par l’escalade

Ça doit être touchant de voir un enfant s’initier à l’escalade.

J’ai plaisir à voir grimper ma fille depuis qu’elle a un an sur le mur d’escalade de notre maison. Ce qui m’a cependant apporté le plus de satisfaction, ce sont les voyages que j’ai pu faire avec des clientes. Cette phase remonte avant la naissance de mes enfants qui m’a fait me réorienter vers l’ouverture de voies. Des clientes retraitées, qui venaient souvent de divorcer. Elles voulaient apprendre à se connaître.

Pour toi l’escalade a été liée à la confiance, ce que tu évoques relève de la découverte de soi. On revient à la notion de thérapie.

Je leur apportais cette autonomie qu’elles n’avaient pas pu développer parce qu’elles s’étaient entièrement consacrées à leurs enfants. Je les emmenais à Kalymnos, une île grecque qui offre des voies très faciles, une vue sur la mer. Le coin était paradisiaque et permettait l’épanouissement.

En grimpant, on s’élève à la fois concrètement et en soi.

On crée une harmonie entre le rocher et soi. Quand on grimpe, tout s’arrête autour, on est concentré sur l’essentiel. Tu dois composer pour ton équilibre, pour gérer ton corps.

Grimper pour soi

J’ai évoqué au tout début de notre conversation un incident qui t’a coûté un titre mondial. Tu as esquivé en le replaçant au niveau de l’anecdote. L’escalade est pour toi davantage une philosophie de vie.

Les titres m’ont permis de me rendre compte que je n’étais pas une bonne à rien comme on me le disait dans mon enfance. Il m’est arrivé de pleurer en finale de coupe du monde. Je ne savais pas pourquoi j’étais là. « Je suis nulle. Elles sont toutes fortes. » C’était une évidence. On avait beau me rassurer, me dire que je n’étais pas en finale par hasard…Les titres m’ont permis de ne plus grimper pour les autres mais pour moi-même.

Les enfants

La naissance de mes enfants a provoqué une phase délicate. La fatigue, le changement d’organisation ne m’ont pas permis de mener à bien certains projets alors que, normalement, je mets tout en œuvre pour y arriver.

La compet

On évoque beaucoup les passerelles entre le sport et le monde de l’entreprise. Est-ce que ça fonctionne ?

Tout repose sur la qualité de mon travail, sur la personne que je suis. Je vis la même pression quand je pars ouvrir une voie en extérieur qu’en compétition. Je suis une compétitrice.

Tu appréhendes les compétitions des Légendes comme celles d’autrefois. Tu te livres à fond.

Je n’arrive pas à lâcher et à me dire que j’y participe uniquement pour m’amuser. Ça m’embête de ne pas y arriver en forme. Si tu n’as pas pris à cœur le sport de haut niveau, tu ne peux pas faire de résultats. Je remarque que beaucoup de jeunes qui sortent d’une compétition ne pensent qu’à aller boire un coup, à s’amuser. Moi, si je n’avais pas réussi ma compet, j’étais effondrée. Je ne pensais qu’à une chose « Qu’est-ce que je dois faire pour que ça ne se reproduise plus jamais ? »

Les JO, l’évolution de l’encadrement

Est-ce que les choses ne dépendent que de soi ? Est-ce qu’il y a une équipe autour qui permet de progresser ?

À l’époque, ça ne dépendait que de nous. L’escalade n’est olympique que depuis cette année. Les athlètes sont vraiment aidés désormais. Nous étions livrés à nous-mêmes. On ne fréquentait pas les pôles d’entraînement parce qu’ils étaient moins efficaces que là où l’on pouvait s’entraîner directement. J’ai partagé sept ans de ma vie avec François Petit, un champion du monde. Il gère maintenant les salles Climb Up dont j’ai déjà parlé. On s’entraînait ensemble.

Une vie nourrie d’escalade

Est-ce que tu vois tout sous l’angle de l’escalade ?

Si je vais en vacances, c’est vers un endroit où je grimpe ! Sinon je m’embête un peu. Comme je suis originaire de Bourg-Saint-Maurice, j’ai naturellement fait du ski. Mon papa était moniteur. Je suis une bonne skieuse mais je ne suis pas passionnée. J’ai adoré la gymnastique. J’en ai fait beaucoup, enfermée dans des gymnases, avec des entraîneurs pas toujours très sympas. Un jour, des amis m’ont invitée à grimper dans les calanques, à Marseille. Ils m’ont tout de suite trouvée très douée. C’était une révélation, avec des amis, on a rigolé. J’ai grimpé sur un rocher blanc magnifique d’où on voyait la mer, les voiliers. C’est peut-être pour cette raison que j’aime bien les falaises ouvertes. Il y a aussi le bloc, comme en forêt de Fontainebleau. Des petits parcours, sans corde. Ce que j’aime, c’est la « difficulté », les voies de quarante mètres.

La fluidité des mouvements…et la gnaque

Tout le monde a découvert l’escalade avec des gens comme Patrick Edlinger. Est-ce qu’il y a des modèles ?

Il a été un modèle pour tous, surtout pour la fluidité de ses mouvements, pour l’harmonie. C’était une chorégraphie. Les films qu’il a réalisés étaient préparés pour donner l’image de cette chorégraphie.

Ta prochaine compétition a lieu début septembre.

Pour l’inauguration de l’une des plus grandes salles parisiennes. J’ai un peu de pression dans la mesure où je vais grimper devant un public et que je suis une battante.