Christophe Chièze, La Maison Forte, La Vallée de l’Arve
19 avril 2021L’art, les rencontres, l’humain
Actuellement démarre un projet artistique et culturel, La Maison Forte. Il consiste à fédérer et, à vivre et à partager une aventure. Cette démarche vient d’un parcours personnel.
D’un parcours de curiosité, de remise en cause presque permanente, de relations et d’échanges. Je viens d’un milieu où l’on aime parler, rencontrer, apprendre, se remettre en question. L’essence de ce projet pourrait être de rapprocher l’humain de son humanité à partir de la dimension d’échange, de partage intergénérationnel. On a tendance à penser qu’aujourd’hui les réseaux apportent connaissances et amitié. Je crois que les connaissances, l’amitié passent par des échanges physiques, des rencontres. Le milieu artistique les favorise.
Profession et passion
J’ai d’abord fait mes premières armes à Annecy, dans le travail temporaire. Il consiste à mettre des ressources à disposition d’entreprises. À faire correspondre de l’humain avec de l’humain. À mettre en relation plus qu’un savoir-faire, un savoir être avec un autre savoir être. J’ai donc passé treize ans chez Manpower à mettre en relation des entreprises, des ressources avec leurs compétences, leur énergie dans des problématiques d’emploi. C’est aussi du social. Nous avons été les premiers à réaliser à Annecy un accord cadre entre les entreprises et les services publics. C’était déjà l’envie de lier les forces vives.
Un supplément d’âme indispensable
Toujours le lien humain, la relation, l’accord.
J’aime rencontrer des gens et que ça fonctionne entre eux. J’ai ensuite repris un cabinet d’assurances dans la Vallée de l’Arve. Mon principe est toujours le même, ne pas limiter une relation à sa dimension contractuelle. Il y faut un supplément d’âme. Il est finalement assez facile de faire des affaires quand on propose un bon produit. Les choses ne prennent cependant vraiment sens que lorsque le client devient une relation. Ceci ouvre un autre angle qui est beaucoup plus intéressant.
C’est un peu ce qu’on pourrait dire d’une œuvre d’art. On peut la décrire, avoir une approche technique, l’analyser, en retracer l’histoire. Elle est réussie quand elle dépasse tout ça. Idem pour un plat gastronomique : le résultat dépasse « la somme des parties ».
Pour qu’une œuvre d’art soit comprise dans son entièreté, il faut avoir en tête le chemin que l’artiste a fait vis-à-vis de son œuvre, celui du spectateur vis-à-vis de l’œuvre, et enfin favoriser la rencontre entre l’artiste et l’amateur. L’émotion primaire ne me suffit pas. Il faut surtout une histoire, un ADN et, si possible, un partage.
L’émotion, le risque
Et au-delà de ce mille-feuille, on doit toujours vivre l’émotion partagée avec l’œuvre.
En termes humains, c’est la différence entre un contrat, le basique de la relation, et une promesse.
Ce qui vous conduit à prendre actuellement des risques et à tenter une nouvelle aventure.
Comme une évidence, oui. Après treize années comme agent général, je suis satisfait du travail accompli. Un travail maîtrisé, des clients partenaires, une trajectoire écrite à développer…pour moi, ce n’était pas suffisant. L’objectif était de continuer à créer de la relation, à alimenter ma curiosité. Je suis un bouffeur de culture et d’émotions dont je me nourris littéralement. Voir dans une œuvre autre chose que le regard ou le travail de l’artiste, mais l’émotion propre qu’elle dégage. Elle n’est plus un simple support. Quant à la prise de risque, elle est surtout matérielle. Tout est déterminé mais rien n’est vraiment déterminant surtout lorsque l’on a confiance en soi. Et puis, le risque est limité ici parce que la Vallée de l’Arve est très dynamique.
S’ancrer dans la Vallée pour l’ouvrir
C’est donc davantage une expérience qu’un risque. Actuellement, votre profession vous mène à transporter des œuvres d’art, ce qui vous permet de rencontrer des artistes.
Je quitte mon cabinet d’assurances parce que je considère que ma vie doit tourner autour de l’émotion artistique. Je crée donc une société de transport d’œuvres d’art qui me permet de rencontrer depuis quatre ans des artistes, des galeristes, des commissaires d’exposition, des directeurs artistiques en Europe. Peu à peu se confirme l’idée que certes notre vallée possède des richesses, un socle positif, un savoir-faire dans la haute technologie, un volume d’activité, un tissu touristique majeur mais qu’il y manque cependant une sorte de relief intergénérationnel, d’émotions artistiques. Celui-ci pourrait fort bien naître d’une communauté d’intérêts liant les communes, l’industrie. L’un des axes possibles serait un industriel / un artiste, comme Louis Pernat en soutient l’idée, comme Philippe Cartier notre vice président aussi.
Au centre, une sorte de vaisseau amiral, une maison forte, un ancien lieu industriel. Des lieux fermés par définition à ouvrir à et par la culture. Il s’agit d’un partage mixte au cœur du territoire.
Rendre accessibles l’art et la culture
Souvent la faisabilité prime. Alors que le moteur est l’envie, l’émotion, le partage, la curiosité.
Les gens d’ici ont l’amour de leur vallée, de leur région.
De lieu encaissé, la Vallée de l’Arve devient une plaque tournante.
On transforme l’image de la Vallée bien souvent associée à la pollution. Elle devient un vecteur d’émotions autour d’un site prêt à véhiculer l’émotion entre Gianadda à Martigny, Le Palais Lumière à Évian et Annecy. Une émotion liée à la création artistique vivante, de qualité, contemporaine et accessible, surtout accessible.
Fraternité des arts, liant culturel
L’enjeu communautaire actuel est de faire vivre la Vallée tout au long des quatre saisons. Saisons en plein bouleversement, la neige peut manquer, les inter-saisons sont longs. La culture par l’art crée un élément liant autour de la fraternité territoriale.
Cette notion de fraternité a l’air très importante.
Notre commissaire d’exposition, Noël Coret, est très attaché au Salon d’Automne. Celui-ci a été créé en 1903 par Frantz Jourdain et quelques amis dont Bonnard, Rouault, Vuillard, Matisse, autour d’un axe fondamental, la Fraternité des arts. Il n’y a pas d’art majeur, mineur. Dans cette même veine, nous sommes capables de présenter aux amateurs, aux curieux des œuvres dites classiques, sculptures, peintures, photographies…Mais aussi d’autres formes artistiques tels que la décoration, l’architecture, le goût. Nous voulons faire la part belle à toutes sortes d’émotions. Celles-ci sont liées à tous nos sens, nous mettent littéralement « en mouvement », nous meuvent et suscitent la transmission. Fraternité des arts, Fraternité dans le financement, Fraternité des artistes et des amateurs.
Naissance du projet
Comment est née la configuration de ce projet ? Est-ce qu’il existe ailleurs, plus ou moins sous cette forme ?
Il émane de mes longues heures de route à travers l’Europe, des échanges avec les professionnels de l’Art. L’idée d’un manque dans la Vallée, la volonté de sortir d’un cadre, la rencontre avec Noël Coret, avec Serge Labégorre.
Émotions partagées et pédagogie
Rencontre, transmission et aussi un volet pédagogique qui prolonge la transmission.
L’émotion, encore une fois, n’empêche pas l’explication, ni l’information. Nous travaillons actuellement avec des partenaires variés pour bâtir le cadre idéal de pédagogie. Mais celle-ci dépasse le cadre scolaire. Elle repose aussi sur l’accessibilité des artistes, sur l’incarnation du lieu. La pédagogie, à mes yeux, va plus loin. Il s’agit de comprendre ce qu’on voit, d’échanger avec le créateur…c’est de l’humanité. Une humanité que nous avons perdue : l’émotion primaire, le dialogue, la compréhension et l’émotion secondaire.
Mon approche n’est pas celle d’un spécialiste de l’art, juste d’un amateur, d’un curieux. Dans ce projet de centre de Fraternité des Arts, je suis un hub. Je vais chercher les ressources et fais en sorte qu’elles fonctionnent ensemble.
L’art comme promesse
Et que ce fonctionnement ouvre sur une promesse, sur un espoir véhiculé par l’art.
Ouvrir les champs du possible. Espérer un avenir meilleur. C’est à quoi travaille notre association dont je ne suis qu’un modeste mais actif élément. Les membres passionnés sont organisés en pôle de compétences et de connaissances : pôle relation entreprises, pôle relation commerçant, pôle gestion patrimoniale, pôle juridique, pôle dirigeantes d’entreprise, pôle communication. S’est ainsi formée une communauté mixte d’échange et de volonté. Car là ou est la volonté….