« Chute libre » par Mademoiselle Caroline

« Chute libre » par Mademoiselle Caroline

16 juillet 2022 Non Par Paul Rassat

Chute libre est paru en 2013. Quelques secousses sismico psychologiques continuent de faire vibrer le monde de la BD. Page 7, on peut lire «  …et pour ceux qui côtoient toute cette merde. » Enchaînement page 8. Un dessin montre un lit de consultation médicale avec rouleau de papier protecteur au pied. Façon PQ. Comme si la personne qui consulte était cette merde, on déroule non pas le tapis rouge mais le papier toilettes.

Dépression et chute libre dans le gouffre

C’est que Chute libre retrace une dépression perlée comme il existe des métaphores filées. À la différence que la dépression n’est pas une figure de style mais un gouffre. Le dico nous dit qu’en termes de géographie c’est un affaissement, un creux, une fosse. L’inverse d’un roc…d’un pic… d’un cap ! Sinon un très mauvais cap à passer. Elle peut être économique, mécanique. Météorologique elle donne ceci «Région de l’atmosphère où la baisse de la pression provoque des vents rotatifs. » Assez juste métaphore de la dépression psychologique. Le mot vient du latin deprimere, enfoncer, rabaisser, au sens propre et figuré.

Au cœur de la dépression

Au cœur de la dépression, humain et chose indéfinie se confondent. « Je suis comme ça…C’est là. Tout a cédé. J’ai cédé. » Je, ça, tout s’embrouille. Les phrases courtes marquent un rythme qui manque d’oxygène dans le stress de la dépression. Je manque d’air !

Mais garder l’air

Façade. Habitude. « Vous me regardez, mais vous ne voyez rien. » Le noir envahit cependant l’horizon personnel et les pages du livre. Il y a le fameux noir Soulages. Le noir Caroline ne soulage pas. Il pique. « J’ai eu le temps de redescendre ça pique. » Indéfini. En dehors de la « normalitude » rassurante, chaleureuse. « Ça pique » et encore un drôle d’enchaînement avec « L’homme » rassurant et portant barbe.

Carnet de santé

Des dessins réalisés sur un carnet pendant la dépression, et insérés dans le livre, témoignent de celle-ci sur le vif. C’est que le cerveau de Mamzelle Caroline est agile comme sa main et comme on le dirait aujourd’hui d’une entreprise. Elle vit et nous fait vivre sa déprime en direct, en différé, avec en prime le temps de la réalisation, de l’intérieur, de l’extérieur…Je n’ai rien oublié ?

Dessin lui aussi agile

Enfantin, ou maîtrisé de façon à paraître très simple, le dessin  colle à la météo intérieure. Le corps se déforme en accord avec la partition du cerveau. Le mouvement est toujours présent, même dans les périodes d’immobilité. On ressent la tempête dans le bocal. Ce mouvement culmine lorsqu’il devient expressionniste. Le cri n’est pas loin. Ailleurs on pense à Van Gogh pour l’intensité.

De l’humour à la hauteur de l’humeur

On passera sur l’importance de rencontrer le psy qui convient. Sur l’importance d’intégrer un diagnostic non pas comme un ensemble de mots mais comme une réalité concernant directement la personne qui consulte. Reste l’humour, cette toute dernière capacité à garder une petite distance entre soi et soi. « Grâce au ski j’ai remonté la pente. » Citation d’Oscar Wilde : « Le pessimiste est celui qui, entre deux maux, choisit les deux. » Impression aussi que parfois les paysages extérieur et intérieur sont en harmonie et que la place des montagnes est vitale. «  Je dégustais la vie…trop heureuse de la ressentir à nouveau. » La couleur a vaincu le noir!

La patte de Talpa

Une page de cases vides, des pages noires. Penser que le vide est l’absence serait une erreur. Il est un trop-trop plein qui ne s’évacue pas. Comme sans doute les monochromes de Malevitch, de Klein et d’autres. Comme les insupportables descriptions du Nouveau Roman. Ceci dit, Mademoiselle Caroline transforme le PQ non pas en tapis rouge mais en tapis volant emporté par les zéphyrs de la création.