Décentralisation culturelle : un renouveau?
2 juillet 2025Tour d’horizon avec Hugo Roux : comment faire que la culture, très malmenée actuellement, retrouve un lien naturel avec le public ? Le Festival de Malaz en est un exemple en devenir. Il fait peut-être partie d’un renouveau de la décentralisation culturelle. (Dessin © Filipandré)
Constat
La situation de la culture n’est pas brillante actuellement. Comment le Festival de Malaz y trouve-t-il sa place ?
Je travaille particulièrement sur ces questions en ce moment. Je suis devenu élu au bureau national des metteurs en scène, qui est une branche de la CGT Spectacle. J’ai décidé de m’engager concrètement dans cette voie parce que les attaques atteignent des proportions proprement sidérantes. Les attaques répétées contre le service public culturel, contre le principe même du financement des activités culturelles. On supprime 70% du financement dans les Pays de la Loire, dans l’Hérault le président voulait couper 100% ; il est revenu un peu en arrière… La coupe du financement culturel devient presque un marqueur politique et un argument électoral. Les causes de cette situation sont multiples mais j’affirme, même si cela peut sembler incongru, que les artistes ont eux aussi une responsabilité dans la situation actuelle.
Enjeux et responsabilités
Le milieu culturel globalement a une responsabilité dans ce qui est en train de se passer. Ariane Mnouchkine a fait une tribune à ce sujet l’an dernier à Avignon : elle s’est fait incendier par toute la profession qui a soutenu : « Les artistes ne sont pas responsables de l’extrême droitisation de la société, ils ne sont pas responsables de ce qui se passe. »
La culture est remplacée par l’événementiel qui est très rentable. Au glissement politique il faut ajouter le tiroir caisse.
L’art a été remplacé par la culture qui va vers l’événementiel. On va petit à petit vers un délitement généralisé de nos pratiques. J’ai une double casquette de syndicaliste et d’étudiant. J’ai fait cette année un master de management des organisations culturelles à Dauphine. Je suis en train de rédiger un mémoire qui traite cette problématique : « Comment à travers l’émergence des festivals de plein air une nouvelle génération tente-t-elle d’entamer une nouvelle phase de la décentralisation ? »
Une nouvelle décentralisation ?
Bigre, c’est comme s’il y avait une cohérence dans ta démarche ! Directeur du Festival de Malaz et un mémoire sur le renouveau de la décentralisation par les festivals en plein air !
J’ai recensé 43 festivals nés entre 2014 et 2024 sur le territoire national. D’envergures différentes mais grosso modo ressemblant à Malaz. C’est un phénomène ! Ce n’est pas labellisé par le ministère de la culture…
Fais ton festival dans un camping, le ministère te soutiendra.
Peut-être (rires). Ces festivals ne sont pas labellisés. Les collectivités les soutiennent cependant.
Le soutien est donc dépendant du bon vouloir des élus locaux.
Mon enquête n’est pas finie. J’ai pour l’instant les données sur les budgets, les niveaux de rémunération. Je mène aussi une enquête sociologique croisée auprès des publics de la Scène nationale Bonlieu et du Festival de Malaz, pour essayer de comparer les habitudes culturelles, les niveaux de rémunération, les niveaux de diplômes des deux types de spectateurs. Mais on voit déjà que ces festivals sont un nouveau réseau de diffusion. Il y a aujourd’hui 34 scènes nationales en France, donc plus de festivals émergents que de scènes nationales. Il faudrait construire des théâtres car les spectacles ont du mal à tourner.
Ou bien obliger les directeurs de théâtres à accueillir une ou deux équipes artistiques…
Mixité sociale et culturelle
Aujourd’hui les compagnies veulent tourner, faire du théâtre et n’y arrivent pas parce qu’il n’y a pas assez de créneaux. Annecy est un bon exemple de ce que peut être un réseau de pédagogie théâtrale : le collège de Seynod, le lycée Baudelaire, le Conservatoire… Mais quand les jeunes arrivent sur le marché, ils ne trouvent pas de travail parce que les lieux de diffusion sont saturés. Les nouveaux festivals ouvrent des créneaux de diffusion ; ils reposent cependant beaucoup sur de l’énergie militante et bénévole. Et puis ces festivals instaurent un autre rapport avec le public. À Malaz les gens sont chez eux. Ils n’ont pas peur d’entrer. Ils y font leurs repas d’anniversaire, de mariage, leurs réunions d’association.
L’énergie ne suffit pas
L’une des forces des scènes nationales est le réseau qu’elles forment. Est-ce qu’un réseau des nouveaux festivals serait souhaitable ?
Comment structurer ce qu’on appelle l’émergence ? C’est un mot-valise derrière lequel on retrouve des compagnies qui ont 20 ans d’existence et d’autres qui ont commencé hier. Bien sûr qu’il faut mettre ces festivals en réseau. J’analyse dans mon mémoire la Fédération des Festivals de Proximité, née il y a quelques années mais qui a périclité. J’essaye de comprendre pourquoi ça n’a pas fonctionné. Je pense que c’est principalement parce que les gens sont très peu payés. Créer son festival demande beaucoup d’énergie ; se mettre en réseau est du travail en plus.
Ici, dans ce festival, les gens voient qu’ils vivent quelque chose de très particulier.

Le projet de Malaz
Lors de la représentation de Penthésilée il y avait pas mal de jeunes dans le public.
Le but est d’accueillir tout le monde. Un nouveau projet porté par 4 compagnies va désormais animer Malaz. Les compagnies Monsieur K et Moteurs multiples , parties prenantes, montrent leur travail et leur identité artistique lors de cette édition. Avec le soutien de la mairie d’Annecy nous sommes en train d’écrire une nouvelle page, même s’il y a pas mal d’embûches et d’obstacles. Cette maison de Malaz est à la confluence de beaucoup d’usages : des particuliers la louent, le Polyèdre, le centre aéré y ont des activités, les services de la mairie l’occupent, ainsi que des services culturels. La complexité et la beauté du lieu s’y confondent. Il ne faudrait pas parachuter depuis des bureaux un projet culturel écrasant qui viendrait lisser le tout. Surtout pas ! Il faut voir comment conjuguer toutes les aspérités sans léser personne, jusque dans les moindres détails. Nous lançons en septembre 2025 un projet pilote que nous espérons à la hauteur de ce lieu inouï.