Dossier bêtise N° 2 « La vie, c’est la vie ». Tautologie.
28 mars 2021Cerner la bêtise ?
Le véritable problème de la bêtise n’est-il pas l’impossibilité de la cerner, de la délimiter ? Ainsi, le Dictionnaire de la bêtise de Jean-Claude Carrière et Guy Bechtel a-t-il connu une réédition augmentée et Belinda Cannone a-t-elle pu écrire La bêtise s’améliore. La bêtise défie les définitions et les penseurs dont la pensée se veut raison. Dans Nietzsche et la philosophie, Deleuze écrit « La bêtise n’est pas une erreur, ni un tissu d’erreurs. On connaît des pensées imbéciles, des discours imbéciles qui sont faits tout entier de vérités. » Nous touchons là un point fondamental.
La bêtise indispensable mais réductrice
Pour Nietzsche, la bêtise est indispensable au fonctionnement de la société puisqu’elle permet l’apprentissage. Elle est nécessaire à l’obéissance des militaires, des policiers et des gendarmes, des fonctionnaires et de tout subordonné, mais l’obéissance aveugle à un supérieur, à des consignes, à un protocole peut se révéler catastrophique. La bêtise n’est pas incompatible avec la vérité, mais elle restreint l’approche du monde à une vérité bornée, univoque, aveugle. Elle est la tautologie qu’évoque Barthes, qui consiste à définir le même par le même, « La vie, c’est la vie ! », « Les chiens ne font pas des chats ! », « C’est comme ça et pas autrement ! ». Évidences et truismes tiennent compagnie à la tautologie pour constituer cette fameuse sagesse qui forme le substrat de la bêtise indispensable et contagieuse.
La constance dans la bêtise peut mener au succès
Que penser d’un sportif qui n’a qu’une idée, réussir ? Et qui s’entraîne plusieurs heures par jour pendant des années. C’est un obsédé, un monomaniaque à qui seule la victoire peut donner raison. Tout comme à cet homme politique donné archi battu mais qui ne baisse pas les bras et finit par l’emporter. « Nul vainqueur ne croit au hasard » écrit Nietzsche, toujours lui, et les monomaniaques, chanceux, nantis, favorisés, de proclamer qu’il suffit de vouloir pour pouvoir. D’un autre côté, à ne pas restreindre le champ des possibles, on peut se perdre, se diluer.
C’est l’équilibre qui importe.
De part et d’autre de cette ligne d’équilibre fragile et changeante pourraient se situer l’érotisme, jeu, évocation, mise en scène et la pornographie soumise à un objectif unique ; la liberté et l’aveuglement ; la démocratie et la dictature ; l’ouverture et la fermeture ; la dialectique et la pensée unique ; l’inventivité, le partage et la transmission ; le mouvement et l’immobilité ; la conversation et la communication ; la suite ordre-désordre-nouvel ordre et la suite ordre-ordre-ordre ; les allusions, les métaphores et le mot à mot ; la recherche et la vérité ; la curiosité et la certitude…
La bêtise univoque sape nos efforts
La bêtise est la volonté consciente ou non, subie ou voulue, de n’avancer que sur une voie unique considérée comme irréversible. Combien de responsables politiques expliquent leur échec par l’impossibilité, faute de temps ou de moyens, de faire plus, plus loin, dans la même direction ? Alors que la vie repose sur la relation intérieur-extérieur, inspiration-expiration, littéral (mot à mot)-littéraire (ludique, allusif)…Pourquoi vouloir faire toujours plus? Il serait préférable de changer de voie, de point de vue. « Faire sauter les verrous, changer de logiciel, faire bouger les lignes, changer de paradigmes » ne sont que des ersatz lingusitiques. Vanter les bienfaits du capitalisme ne présente pas plus d’intérêt que d’en dénoncer les injustices, les dangers, les dégâts. Il nous est, en effet, chevillé au corps et à cette partie de notre intelligence qui baigne dans la bêtise. Au point que les tentatives communistes furent un échec car elles étaient sapées, corrompues de l’intérieur par cette même bêtise.
« Il faut que tout change pour que rien ne change »
Dans notre système capitaliste, libéral, ceux qui possèdent, profitent, exploitent ont intérêt à ce que le monde ne change pas, ou qu’il évolue selon des règles qui leur sont favorables, ou dont ils pensent qu’elles leur seront favorables un jour s’ils font les efforts nécessaires. La réussite se mérite et s’ils n’y sont pas encore parvenus, c’est qu’ils ne s’en sont pas suffisamment donné les moyens.
Bêtise socialement héréditaire
Notre conception de l’intelligence, notre façon de transmettre le savoir et de l’évaluer dans le système scolaire, par exemple, n’est que le reflet, la conséquence de cette organisation. Le but plus ou moins avoué est de maintenir un taux d’inégalités apparent tolérable. Certaines révélations sur les écarts de revenus, sur les fonds cachés, sur certaines formes d’exploitation provoquent une indignation qui tient lieu de soupape. Celle-ci permet de maintenir dans l’ombre la plus grande partie des inégalités, voire à augmenter les différences. Notre système est un illusionniste qui met en lumière l’accessoire et dissimule l’essentiel.
Comme un bon chien, la bêtise rapporte.
Et puis, suprême expression de cette bêtise triomphante, ce chef d’entreprise à qui on parle de son salaire mirobolant et qui répond que cela correspond au marché. Fatalitas ! Fatalité ! Résignation à la loi du marché. Obligation – et merde ! – de toucher plusieurs millions par an. Absurdité suprême, qui consiste à faire croire qu’il y a une loi, celle du marché, là où triomphe la jungle.
Conclusion
Elle est empruntée à Woody Allen » L’avantage d’être intelligent, c’est qu’on peut toujours faire l’imbécile, alors que l’inverse est totalement impossible. » Pas sûr !
Reconclusion à laquelle nous invite le dessin de Franz Schimpl. Mettons en relation le livre de Maya Beauvallet Les stratégies absurdes Comment faire pire en croyant faire mieux et Henri Queuille. Ce Président du Conseil de la IV ème République déclarait
Il n’est pas de problème dont l’absence une absence de solution ne finisse par venir à bout. »
Prière de ne pas y voir d’allusion à une quelconque situation actuelle.