Dossier Bêtise N° 3/ Le crétin Des Alpes

Dossier Bêtise N° 3/ Le crétin Des Alpes

4 avril 2021 Non Par Paul Rassat

« Crétin des Alpes », le juron

Tous les tintinophiles et les autres connaissent ce juron du capitaine Haddock dont le patronyme signifie « églefin fumé ». Ceci en dit long sur la crédibilité du personnage, à moins qu’on entende « ad hoc » dont le sens « adapté, qui convient » colle si bien à un capitaine naviguant davantage dans le whisky que sur mer.

Confusion 

Au-delà du folklore tintinabulesque, l’appellation de Crétin des Alpes renvoie à une réalité qui nécessite quelques précisions sémantiques.  Le crétin, qui a quasiment disparu au début du 20° siècle, avait une tête de crétin et non de con. Cette deuxième appellation traduit une confusion soit sémantique, soit visuelle, soit culturelle, soit les trois à la fois. Le mot con dérive en effet du latin cunus qui désigne le sexe féminin de la manière la plus vulgaire possible. Or un sexe féminin, si vous le regardez attentivement, a-t-il une tête de con ? Votre tête de Turc préférée a-t-il une tête de con ? Même s’il soutient un régime qui ne soutient pas la comparaison avec notre merveilleuse démocratie ?  Que nenni !

Alors pourquoi « tête de con » ?, d’autant plus que le plus célèbre d’entre eux n’avait pas de tête jusqu’à ce qu’on découvrît celle de la jeune femme qui posa pour « L’origine du monde » de Gustave Courbet.

Le crétin des Alpes

Le crétin des Alpes avait, lui, une véritable tête de crétin très reconnaissable, caractéristique, qui traduisait ostensiblement son crétinisme souligné le plus souvent par la protubérance d’un goitre.  On aurait pu l’équiper d’une fraise, cette collerette godronnée, c’est-à-dire plissée, destinée aux 16 et 17° siècles à masquer bubons et autres gracieusetés au cou des nobles ; mais les crétins des Alpes n’étaient pas forcément nobles et ne devinrent sujets de moqueries et d’étude qu’à partir du 18° siècle. Les munir de fraises à cette époque eût constitué une faute de goût (de fraise) et un anachronisme.

Cause médicale

   On s’est longtemps interrogé sur l’origine du crétinisme alpin qu’on a attribué aux miasmes de certains lieux, à la consommation d’eau de neige fondue, à bien d’autres causes dont la consanguinité, jusqu’à ce qu’on découvrît que l’arrêt de la croissance physique et l’extinction des lumières intellectuelles étaient dues à un manque d’iode. Parallèlement on n’a pas remarqué que la présence massive d’iode sur nos côtes ait rendu leurs habitants Basques, Bretons, Normands ou Corses supérieurement intelligents.

Le crétinisme revendiqué!
Après la bêtise de Cambrai, le crétin des Alpes

De la moquerie à la fierté

   Le crétin des Alpes était devenu un sujet de moquerie d’autant plus répandu que se développait le tourisme alpin, sportif, touristique et littéraire. Il fit alors partie du décor comme les chalets, les vaches, la montagne et le fromage. Mais cette connotation évolua elle aussi. Antoine de Baecque écrit « Ce sont les idiots du village alpin, et chaque village veut ses idiots, tels une sorte de talisman, de mascotte sacrée, préservant du mauvais œil en tant qu’  « innocents » parlant aux étoiles et à la Providence divine. »

Starisation

   Ancré dans les esprits, dans la littérature, la chanson, le cinéma, le crétin des Alpes devint, malgré sa disparition physique liée à l’absorption de sel iodé  « un être quasi mythique cristallisant les revendications de l’authenticité alpine. Une « fierté crétine » naît même… »

Image de l’éternité

   Le crétin, dont le développement physique et mental s’est arrêté, représente finalement une forme d’éternité dont le Savoyard est fier face au progrès qu’il maîtrise mal ou qui lui est inaccessible. Dans « Le parler des Savoies et ses histoires à rire », Nicolas Abry et Dominique Abry-Deffayet pointent quelques histoires à rire qui, au 19°siècle, tournent en dérision la batteuse, le char pour le foin et le mors…ainsi que les toilettes. Le crétin des Alpes est donc passé de la représentation vivante d’une déficience à celle de la fierté savoyarde dans un mouvement qui exprime bien cette mentalité souvent taiseuse et reliée aux réalités naturelles.

Nous demanderons à Pierre Dac de clore ce texte ainsi :

« Idiot cherche village ».

Rappel : le dossier sur la bêtise compte déjà deux articles.