Double Je

— Vous êtes Je ? Double Je?

— Non, pourquoi ?

— Je cherche Je. Vous êtes sûr que ce n’est pas vous ?

— Je viens de vous dire que non.

— Vous venez de dire Je, à l’instant !

— Vous aussi. Je, ce ne serait pas vous par hasard ? Et vous finasseriez pour me mettre votre Je  sur le dos.

— Vous pourriez tenter vous-même de vous alléger d’un Je  trop pesant.

— Je viens de vous le dire. Je  n’est pas moi. Je  est un autre.

— Un autre, un autre ! Facile à dire. Il y en a tellement ! Quel autre ? Un double? Un double Je?

— Je ne sais pas. Tous les autres que mon Je  à lui tout seul ne peut pas contenir.

— Ça déborde ?

— Exactement. Le Je officiel qui figure sur les papiers d’identité  ne représente qu’une infime partie des Je  possibles. Alors mes Je  débordent en des moi, des tu, des ils ou elles, des nous, des vous…et puis toujours de nouveaux Je. Ça n’arrête jamais ni nulle part.

— Mais qui êtes vous, en fin de compte ?

— Si je savais ! Mes Je, mes moi, mes Moi je m’emportent au vent mauvais qui plus d’un en emporta en un coup de blues permanent.

— Comme un coup de mistral qui balaie tout.

— Bienheureux si on parvient à éviter le coup de grisou qui explose tout. Tous les Je et autres.

— Surtout si Je  est un autre. Il n’en resterait plus rien.

— Alors pas d’allumettes, pas de lumière, avançons à tâtons dans l’obscurité de l’ignorance rassurante.

— Mais si Je  est un autre, comment être sûrs que nous sommes nous ?

— En n’étant personne. Comme Ulysse avec le cyclope. C’est en affirmant qu’il se nomme personne qu’Ulysse échappe à la vengeance du cyclope. Une façon de dire qu’il ne faut aucun ego pour vivre pleinement.

— Je  ne sais plus très bien. Qui a entamé cette conversation ?

— Je ne sais plus très bien non plus. On s’en fiche, non ? Nous sommes des autres.