Éloge du jeu de mots

Éloge du jeu de mots

27 novembre 2022 Non Par Paul Rassat

Éloge du jeu de mots est un chapitre de La gloire des petites choses pensé et écrit par Denis Grozdanovitch. Dans la densité de ses livres et la lecture tout se rejoint, s’entrecroise, vit de références qui accroissent à l’infini les mots portés sur le papier. Il faut donc se limiter à une porte d’entrée. L’auteur cite Hofmannsthal. «  Les mots ne sont pas de ce monde, ils sont un monde pour soi, un monde tout aussi complet que le monde des sons. On peut dire tout ce qu’il y a ; et l’on peut mettre en musique tout ce qu’il y a. Mais on ne peut jamais rien dire comme c’est…Beaucoup de gens s’effondrent à force de vouloir dire la vie. Car la vie se parle elle-même…il y a toujours un phénomène, une combinaison de mots, un enlacement de sons qui touchent notre âme comme son semblable. »

L’espace (le jeu) entre les mots

Un peu plus loin cette citation de Jean Tardieu. « Partout la redoutable importance de ce qui n’est pas – de ce qui n’est plus ou de ce qui n’est pas encore – donne support à ce qui nous frappe…Ainsi, comment mesurer l’énorme espace de pensée qui sépare les mots dans le discours le plus serré ? Dérision de croire que ces maigres flambeaux, piqués de loin en loin dans la nuit, font à eux seuls la lumière ! Ce sont plutôt les relais visibles d’un courant que l’on ne voit pas, que l’on n’entend pas, mais qui d’un terme à l’autre circule. »

L’illusion d’une cause première perdue

Ce vide nous renvoie à un monde perdu, à une cause première disparue. « …et si cet élément fondamental se situait précisément dans la perpétuelle mouvance des concepts, dans leur jeu permanent ?  Nietzsche…ne déclarait-il pas que « les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont ». Il suffirait alors de «  prendre plaisir à jouer … » Paradoxe bienfaisant qui présente le jeu non pas comme un écart, comme une distraction, mais comme la plongée dans la réalité faite du plein des mots et de leur vide. De s’y mouvoir.

Le langage et la réalité

Encore un appel à Lionel Naccache et à la relation qu’il établit entre le cinéma et la réalité. Il en va de même pour le langage. Chaque mot constitue une série discrète, finie, à lui seul. Combiné à d’autres séries discrètes, il forme la fluidité de la réalité. Celle-ci est continue mais formée d’éléments discontinus. Comme un film formé d’images. La richesse et la profondeur de notre continuité personnelle traduisent notre situation dans la caverne de Platon ? Notre capacité à dépasser le sensible immédiat pour aller vers l’esprit. À associer les deux. À passer de l’un à l’autre. La réalité est ce jeu permanent.

Plonger dans la réalité

Ceux qui en appellent à un changement de paradigme disent leur propre impuissance à passer d’un niveau à un autre. Ils attendent un changement radical, sachant qu’il ne se produira pas, afin de cacher ce qu’ils perçoivent en eux de stérile. «  Les mots me manquent » est-il coutume de dire. Les mots ne manquent jamais. Manquent en revanche les liens chargés de sens d’un mot à un autre. Entre les mots. Le sous entendu, l’ellipse, l’image, la métaphore, le zeugma, l’allusion, la connotation…Se voulant au plus près de la réalité afin de coller à une nécessité de rendement, d’efficacité managériale, commerciale, notre langue ne laisse aucune respiration entre les mots. Notre réalité en crève et nous étouffe. Elle rétrécit. Nous croyons que les mots nous manquent alors que nous nous manquons à nous-mêmes.

 Échapper à la bouillie verbale

Les éléments de langage s’agglomèrent en discours préfabriqués d’où s’absentent profondeur et espace. La bouillie qui les constitue présente la densité de ces purées trop mixées dont les fibres ont été rompues. Mélasses bourratives. Alors que les mots devraient être un hommage au silence d’où nous venons et qui nous attend. Au vide porteur de sens. Le moindre interstice est porteur de sens. Il faut l’explorer, l’exprimer avec la force et la ténacité d’un jeu capital.

Bram Van Velde

Quelques citations du livre de Charles Juliet Rencontres avec Bram Van Velde

— Peindre, c’est m’approcher du rien, du vide.

— Trop d’artistes se tiennent dans cette zone où le jeu est encore possible. [ Ce jeu-là n’est pas le bon]

— Je suis en mille morceaux. La peinture me rend un en quelque sorte.

— Ma toile me permet de rendre visible l’invisible.

— L’art, ce n’est pas travailler. Ce n’est pas faire. C’est encore autre chose.

Comme parler et dire ?