Enregistrement sonore

Enregistrement sonore

30 novembre 2025 0 Par Paul Rassat

L’entretien avec Thierry Saint-Solieux (4° article) part cette fois-ci de l’enregistrement sonore de l’œuvre écrite par Edgar P. Jacobs Le piège diabolique.

— Un enregistrement avec bruitages et tout ; un bonheur !

On est encore dans le son enregistré. Comme avec Signé Furax.

Mais de qui la mise en ondes ? De Chassy-Poulay, voyons !

Quand les voies se croisent

Nous terminions notre discussion précédente par le droit à la différence. Cette passion pour le son t’a amené à la bande dessinée.

Les chemins se sont croisés. Le son ? Il y avait beaucoup de disques chez moi. Mon père adorait la musique d’orgue. Il avait plein de disques de Pierre Cochereau aux orgues de Notre-Dame. De Jean Guillou que j’ai pu rencontrer lors d’une émission d’Annecy Classique Festival. J’avais donc dans l’oreille tous ces disques ; et aussi dans les yeux : tous les dimanches mon père mettait le Requiem de Fauré dans la version stéréo d’André Cluytens. Notamment In paradisum. Je me souviens de la pochette. D’où une association d’images, de sons et de sensations puisqu’une tarte au citron accompagnait Fauré. Je le vois encore. Il avait deux versions du Requiem de Verdi. La première de Karajan. Quand il mettait celle de Léonard Berstein, je me souviens, ça me faisait peur. Ça s’est imprimé en moi à l’âge de 9 ans.

L’amour mène à tout

Comme tout adolescent moyen j’ai fini par ne plus écouter de musique classique ; et puis j’ai rencontré une fille…j’ai en ai déjà parlé. Pour lui plaire je me suis remis à écouter du classique ; la fille est partie, la passion est restée. Je m’étais acheté mon premier disque. Il s’agissait du dernier disque de Ravel avec l’orchestre de Paris dirigé par Charles Munch. J’ai encore l’odeur de la colle. Tous les sens s’associent. JUsqu’au bruit quand on sort le disque de sa pochette, l’illustration…

Même si la fille est partie, ma passion n’a fait que croître. J’ai même acheté des bouquins sur la haute fidélité.

Elle t’a planté mais tu as sublimé avec la haute fidélité.

J’allais le dire.

Hic et nunc ?

Revenons à l’enregistrement. Il est pour moi un véhicule de la culture. Minorant parce que ce n’est pas de l’art mais de la culture. Pour Cilibidache, l’art c’est « Hic et nunc ». Ici et maintenant. La partition n’est rien qu’une sténographie ; le témoignage de l’énergie qui a traversé le compositeur. Le musicien, l’interprète, est là pour réduire afin que l’auditeur entre en communication avec ce message ; ce qui ne peut arriver que dans l’ici et maintenant. La musique se construit dans l’acoustique de l’endroit où elle est donné vivante. Tu captures l’acoustique de ce lieu, tu l’enfermes dans une boîte et tu la restitues dans ta propre acoustique : c’est une double trahison. Celibidache a raison. Le son vivant est épinglé comme un joli papillon.

La transcendance est aléatoire

Mais on peut penser exactement l’inverse, comme Walter Legge et d’autres. On peut créer un objet sonore parfait destiné à être écouté et réécouté. La transcendance du concert, on n’est jamais sûr qu’elle arrive ici et maintenant. Mais je peux écouter un disque conçu dans cet esprit de perfection réécoutable.

Les interprètes sont parfois gênés parce que l’enregistrement fixe une interprétation qui évolue en permanence en fonction de l’âge, du public, du lieu, de l’instrument et de très nombreux paramètres. En même temps, ça les oblige à bosser, à parvenir à une sorte de concentration. La démarche est différente. C’est la musique, ce n’est pas la musique, mais c’est aussi la musique !

Fidélité ?

Est-ce que c’est une œuvre d’art sur le moment ?

Une recréation ? Je n’aime pas tellement Glenn Gould comme interprète mais ses écrits sont extraordinaires. Non seulement drôles, mais d’une invention phénoménale. Quand l’URSS s’était un peu entrouverte, dans les années 60, il avait eu l’occasion d’entendre un concert de Sviatoslav Richter, l’un des plus grands pianistes du XX° siècle. Glenn Gould détestait Schubert, ses répétitions. Il mourait d’ennui en l’écoutant. Et il s’aperçoit que Richter commence à jouer la dernière sonate de Schubert dans le tempo le plus lent qu’il ait jamais entendu. Alors qu’il s’apprêtait à passer deux heures d’extrême inconfort sur son siège, il a été fasciné. Par le biais de sa très puissante personnalité Richter parvenait à court-circuiter l’interprète qu’il était. Il établissait une communication directe entre le compositeur et l’auditeur. Il n’abdiquait rien de sa personnalité ni de ses choix. À la fois ce n’était pas ce qui était écrit, et en même temps c’était une évidence.

Escalader la musique par différentes faces

Le danger du disque, c’est qu’on entend un concert et qu’en permanence on a ses versions favorites dans l’oreille. On n’écoute pas, on compare. Il faut être dans une disposition d’esprit particulière, prêt à entendre tout ce qui va se passer ; et si ça réussit, c’est un grand qu’on vient d’entendre. Et pourtant, je passe mon temps à comparer ! J’ai développé une oreille très analytique. Ce n’est pas stérile parce qu’il ne s’agit pas d’établir un classement hiérarchisé. C’est comme escalader une montagne par des voies différentes. Ou regarder une statue sous des angles différents. C’est la même statue et ce n’est pas la même. En montagne il y a des voies plus faciles que d’autres, mais l’essentiel est de parvenir au sommet.