Entrer dans l’art par les sensations

Entrer dans l’art par les sensations

31 octobre 2024 0 Par Paul Rassat

Notre époque parle beaucoup d’émotions, surtout d’émotions à partager. Ce faisant, nous sautons peut-être une étape essentielle qui passe par les sensations. Elles sont le premier lien non seulement avec l’extérieur mais aussi avec nous-mêmes. Entrer dans l’art par les sensations, c’est ce que propose Daniel Larrieu au Palais Lumière d’Évian grâce à la méthode Feldenkrais. Redécouvrir l’exposition  Henri Martin Henri Le Sidaner permet d’approfondir la conversation qu’elle propose entre les deux artistes amis, entre les œuvres et soi, entre soi et soi.

Les prochaines séances proposées par Daniel Larrieu se tiendront les mardis 12 novembre et 10 décembre de 18h15 à 19h15. Le Palais Lumière propose aussi  des déambulations musicales et dansées ainsi que des visites en musique.

Conversation avec Daniel Larrieu

Qu’est-ce que la méthode Feldenkrais ?

Elle est un outil bien particulier. Il est d’ailleurs plus pertinent de dire que ce sont les personnes qui vont se diriger vers la sensation que de parler d’outil. On les guide vers ces sensations, ce qui est merveilleux à réaliser. Lorsque l’on est praticien, on voit comment les gens contournent la douleur ou bien s’organisent pour avoir mal.

J’ai découvert Feldenkrais alors que je dansais. J’étais directeur du centre chorégraphique de Tours dans les années 38/40. On m’a conseillé une opération lorsque j’ai eu très mal au dos. J’ai préféré commencer à travailler avec la méthode Feldenkrais en me promettant qu’un jour je ferais la formation. Bien plus tard j’ai pu prendre les quatre années nécessaires. Feldenkrais est un outil merveilleux pour les danseurs…

Les joueurs de golf, les musiciens, dont les violonistes y ont recours.

Cette méthode peut aider tout le monde à être dans son mouvement, dans la perception de la vie corporelle, même si l’on ne considère par le corps comme un outil, ce le font le plus souvent les sportifs.

Avec cette approche, il s’agit plutôt d’un feedback, comment le corps se sent dans tel mouvement; ce qui s’adresse véritablement à tout le monde.

Au Palais Lumière, on ne va pas demander aux gens s’ils sont sportifs ou de le devenir, mais qu’ils soient ancrés au sol ou sur une chaise.

Puisque vous intervenez dans le cadre d’une exposition, vous créez des liens particuliers avec celle-ci ?

Je propose aux participants de voir une œuvre que j’ai choisie avant pour des raisons personnelles : la taille permet par exemple d’être à plusieurs devant sans se gêner, la lumière, la composition sont intéressantes… En l’occurrence j’ai choisi le tableau intitulé Le Dimanche qui représente des jeunes femmes habillées de blanc, de qui on ne voit pas les pieds. Les robes très longues cachent les appuis au sol. J’ai donc décidé qu’on travaillerait uniquement sur le pied, sur les appuis des pieds au sol, sur la pression, les contacts variés et disponibles des appuis du pied.

On va d’abord voir le tableau, la séance de Feldenkrais se déroule ensuite, et on retourne voir le tableau. Passer davantage de temps devant l’œuvre donne des impressions différentes, plus riches parce que l’on voit davantage de choses. La perception en est relativement plus calme parce que les 45 minutes de Feldenkrais permettent de quitter la vie quotidienne et de rentrer dans un contact plus intime.

Je demande alors aux gens d’imaginer les appuis que l’on ne voit pas.

C’est une manière pour le public de se poser autrement autour d’ œuvres dont la qualité picturale est très forte. Si j’attends quelque chose des gens ? Non puisque qu’ils se retrouvent eux-mêmes avec leurs sensations. Je fais plutôt des récoltes de sensations à la fin ; c’est un peu comme faire une sorte de jardin de sensations.

Ce qui nous relie à vos études en horticulture dans votre jeunesse.

Reliés à leurs propres sensations, les gens peuvent commenter en public et partager : ils voient la lumière, les ombres différemment, le paysage étonnant qui apparaît en arrière-plan dans Le Dimanche et que l’on ne voit pas forcément dans une première approche.

Chaque fois le tableau est différent et la leçon différente. D’où l’idée d’appeler cette pratique Bon pied bon œil. On sent bien, on se sent bien sans effort et l’art permet de cadrer la démarche, qui pourrait se tenir aussi face au lac.

Il est important pour le Palais Lumière d’inviter les gens à pratiquer les expositions d’une autre manière. Beaucoup de choses se font dans les musées, au Louvre. Beaucoup d’événements autour des pratiques physiques plus ou moins…

Gadgets.

Chacun trouve ce qui lui convient. J’attendais d’être dans la justesse, dans l’idée appropriée au Palais.

La conversation se poursuit. Il est question de Valère Novarina qui considère que la parole engage tout le corps. Approche holistique que l’on retrouve dans le cheminement de Daniel Larrieu qui travaille «  en bonne intelligence », c’est-à-dire en créant des liens harmonieux.