Espèces

Espèces

24 juillet 2024 Non Par Paul Rassat

Jean-Marie Pelt nous apprend dans Ces plantes qu’on mange que les mots espèces et épices ont la même origine étymologique. Il rappelle la reine de Saba qui offrit au roi d’Israël nombre de cadeaux dont des aromates « en telles quantités qu’on n’en avait jamais vu autant depuis lors… À cette époque ( 1000 ans avant notre ère) , le mot épice n’existait pas encore. Il est apparu en France au XIIe siècle, dérivant du latin species, « espèce », d’où le paiement en espèces évoquant les épices que l’on offrait au Moyen Âge aux magistrats, pour les remercier d’avoir obtenu gain de cause lors d’un procès. »

Photo©Christophe Rassat

En espèces

Passer des espèces aux billets fut sans doute un progrès, lié cependant au début d’une dématérialisation. On pousse aujourd’hui cette dématérialisation de la monnaie à l’extrême. De sorte que ce n’est plus de citoyen ou le consommateur qui dirige la manœuvre mais lui qui est pisté par sa consommation. Le même processus d’abstraction se produit dans tous les domaines. Il est une facilitation non négligeable à condition qu’il ne se substitue pas aux relations humaines concrètes. Achats à distance, livraisons de repas, paiement virtuel coupent les liens sociaux et humains ainsi que la relation directe à la réalité concrète. La vie s’en trouve-t-elle plus « épicée » ?

Classer pour diriger

Souvenir d’une discussion avec un professeur de mathématiques. Il était jaloux que l’on puisse relier par la langue du concret et de l’abstrait, des catégories et des espèces différentes alors que l’on ne peut pas factoriser en mathématiques des éléments de natures différentes. Il prenait pour exemple le zeugma dont voici quelques exemples.

— Tout jeune Napoléon était très maigre et officier d’artillerie. Plus tard il devint empereur alors il prit du ventre et beaucoup de pays. Prévert

— En découvrant le lit vide, il le devint. Ponson du Terrail

—  Nous sommes trop heureuses de n’avoir plus qu’à prendre patience et de la rhubarbe. Mme de Sévigné.

— L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois. Rimbaud

— Elle était journaliste, j’étais veuf. Wolinski

Errer

«  Errare humanum est… » Oui, il est humain d’errer, de partir à l’aventure, de faire l’école buissonnière. C’est ainsi que l’on peut découvrir et se découvrir à condition de faire preuve de la curiosité nécessaire. La fameuse sérendipité qui fut tant à la mode relève un peu de cette démarche. La rigueur, elle, est souhaitable quand elle n’est pas stérile ; quand elle ne tourne pas en boucle sur elle-même. Elle devient vite une facilité qui transforme les personnes en chiffres, en statistiques et en dossiers. On confond alors la carte et le territoire. C’est en grande partie ce qui nous a menés aux blocages politiques actuels. Il faut pour gouverner de l’intelligence intellectuelle et de l’intelligence étymologique, celle qui crée des liens. Des liens humains.

Le sucre comme épice

Revenons à Jean-Marie Pelt. «  En fait, bien avant lui[Marco Polo], chez les Égyptiens et les Grecs, le sucre était déjà une épice rare mais appréciée. Les Romains l’appelaient le sel indien…Les chrétiens de retour des croisades commençaient à apprécier le sucre qu’ils avaient découvert en Orient. À cette époque, ce n’était encore qu’une épice précieuse prescrite par les médecins en tant que médicament pour les usages les plus divers. » L’étymologie du mot sucre passe par l’italien, remonte à l’arabe, au grec avant lui, au latin et au mot indien sarkara. Quel voyage !

Encore du sucre !

Le succès de cette épice autrefois rare est tel que l’on peut désormais casser du sucre sur quelqu’un, se sucrer ou bien sucrer les fraises. Nous conclurons en rendant hommage au capitaine Haddock et à sa fameuse invective : « Espèce de bachi-bouzouk ! » De quoi épicer la vie de Tintin et des lecteurs.