« Fibre sensible » Exposition à Cluny
4 juillet 2023L’exposition Fibre sensible accueille jusqu’au 16 juillet 2023 trois artistes. : Florence Le Maux, Jane Norbury et Will Menter. Elle se tient aux Écuries de Saint-Hugues de Cluny. Rencontre avec Florence Le Maux.
Fragilité et solidité en tension
Vous fixez de la durée sur le papier, qui est plutôt un support éphémère.
Je l’appelle un support sensible parce qu’il garde trace de quelque chose qui est en cours de transformation. Ce sont les états de transition du vivant qui m’intéressent. Le papier a cette sensibilité qui permet de les capter. C’est un matériau fragile et solide dont la tension m’intéresse. L’ajout de plusieurs feuilles le rend solide. De cette accumulation de fragilité naît une grande solidité. Les accidents, les trouées qui s’opèrent pendant le relevé des empreintes participent au travail.
Présentation et non représentation
Vos captures d’empreintes sont présentées comme des bannières ou des étendards. Vous arborez une fragilité. C’est un entre-deux intéressant.
Je n’avais pas vu cet aspect que j’aime assez parce que ce n’est pas de la représentation mais bien de la présentation.
Il y a un cousinage avec le travail de Penone qui va chercher dans la matière les formes qui y sont déjà.
J’ai découvert son travail en 1985. Il s’agissait de mues de serpents. C’était aussi la période de ses Souffles. Je ne connaissais pas encore son travail sur les empreintes mais j’ai régulièrement découvert des parentés avec son œuvre. J’ai eu l’occasion de travailler avec Bob Verschuren. Il m’a confié qu’il croyait être seul dans sa voie de création jusqu’au jour où il a compris qu’il fait partie d’une famille, avec Penone et d’autres.
L’artiste est traversé par
Avec la recherche de traces, d’empreintes, on peut parler d’une recherche de vérité. De lien très direct avec la matière et le temps.
Une exposition s’est tenue en 1998. Je ne l’ai pas vue mais il y a un très beau catalogue qui s’appelle L’empreinte, écrit par Georges-Didi Huberman. Le livre est intéressant parce qu’il parle de l’archaïsme de ce geste. Leroy Gourhan a aussi écrit sur ce thème. Lorsque je travaille, je suis traversée par des choses très anciennes qui ne m’appartiennent pas.
Un grand nombre d’artistes disent qu’ils sont traversés. Parfois des antennes.
Il y a une part de mystère dans nos créations. Au fond, je n’ai pas tellement évolué. À l’âge de cinq ans, je faisais déjà des empreintes. C’est un geste de gamin.
Les peaux, les empreintes, les traces de nos histoires
Refaire des gestes de gamin alors que l’on est adulte nécessite un véritable travail sur soi qui relie toutes les étapes de la vie jusqu’au moment de la création artistique.
On parle aussi d’empreinte digitale. Tout ce que je fais, ce sont des peaux. Des peaux de papier sur lesquelles je réalise un travail d’impression, avec toute la polysémie du mot. Penone a écrit de très beaux textes là-dessus. La peau circonscrit notre intériorité et elle est le lieu où s’écrit notre histoire.
Cartographier
Ceci rejoint des discussions avec Jean Girel et Valérie Hermans. Le plein, le vide, la surface des pots qui ressemble à un écran, à nos peaux telles que vous les évoquez. En regardant d’une certaine façon vos empreintes d’arbres, on obtient aussi un œil. Une empreinte qui ouvre sur notre intériorité.
C’est toujours l’idée d’une cartographie.
Mais la carte n’est pas le territoire… En vis-à-vis, trois autres œuvres, toujours sur papier.
Pas sur du papier ; c’est du papier !
La Sainte Trinité et le Livre
Mais il semble y avoir une autre matière mêlée au papier.
Mes empreintes ( Il y en a trois) ont été réalisées sur le même arbre, en trois années. Je les réalise sur du papier murier dont les fibres sont tirées de l’écorce d’un arbre. La longueur de ces fibres confère une certaine solidité au papier. Le liber est le nom latin de la partie qui se trouve entre l’écorce et le tronc d’un arbre. Le liber qui a donné livre en français. Je ne suis pas consciente de tout ceci lorsque je travaille, mais tous les éléments du puzzle sont là. En face de mes Empreintes, c’est du papier de carrossier destiné à protéger une voiture dans un garage que j’ai utilisé.
Plier, déplier, ne pas faire un pli…
Donc vous ne faites que protéger avec vos œuvres le mur de pierre de la salle d’exposition !
D’une certaine façon (rires). Ce papier très fin me permet de travailler les plis. Ce sont des plissages que j’encolle par couches pour les fixer. La différence avec mes empreintes est le travail pictural que j’effectue dessus.
Replier pour ouvrir
On dirait une espèce de relevé topographique en 3D.
Je les ai appelées Territoires sans les figer dans une représentation. Rien n’est déterminé dans ma démarche. Je pourrais aller davantage vers de l’écorce mais je préfère laisser ouvert le champ des interprétations. Je me suis contentée d’ajouter de l’argile, une dimension minérale à la peinture que j’ai utilisée.
Peut-être un peu moins dans vos empreintes d’arbres, on peut interpréter ce qui est exposé comme un mouvement qui concentre vers le cœur de l’arbre ou qui ouvre vers l’extérieur. Les plissages semblent pris à mi-chemin. On ne sait pas s’ils vont se resserrer ou s’ouvrir.
Cette interprétation renforce encore l’idée de territoires incertains que l’on peut voir comme du métal, du papier. C’est un trompe l’œil que l’on pourrait redéployer, oui.
L’indispensable vide
Il y a un côté mystérieux dans les espaces que l’on entrevoit et où joue la lumière.
C’est souvent dans les creux que les choses s’opèrent. Le vide est indispensable, comme le silence en musique.