Habiter (et être habité)

Habiter (et être habité)

18 janvier 2025 0 Par Paul Rassat

Habiter consiste, étymologiquement au moins, à avoir des habitudes. Celles-ci viennent du verbe latin habere, avoir. Le sédentaire  possède des biens, un habitat et des habitudes qui l’obligent à demeurer au même endroit. Suivant les pays, les cultures et ses moyens, il habite une case, un palais, un château, une villa, une demeure, une HLM, un appartement, une yourte, un mas, un chalet, un gourbi, un bidonville. L’appartement pris dans un sens générique permet de se mettre à part, de s’écarter de la vie publique. La maison vient du latin manere qui signifie demeurer.

Posséder des biens entraîne des habitudes qui, à leur tour nous habitent et figent notre vie.

Peausser

Le travail de Kokou-Ferdinand Makouvia  rend vie et mouvement au monde que nous habitons et qui nous habite. Il met en mouvement ce qui peut paraître figé, interroge nos clichés, nos regards pétris d’habitudes. Les deux peaux exposées en ce moment à Annecy en sont la concrétisation. Tout se joue dans l’espace entre les deux. Trop ? C’est le vide. Trop peu ? La trop grande proximité empêche la conversation. C’est dans l’entre-deux que se crée le sens vivant.  L’une est suspendue, rattachée symboliquement au ciel ; l’autre est ancrée sur le sol : esprit, matière. Palpable, impalpable. On relèvera que le verbe peausser signifie «  changer de vêtements, entrer dans la peau d’un autre. » Kokou-Ferdinand Makouvia a la vie dans la peau.

Faire la peau

La peau relie l’intérieur et l’extérieur. Elle est l’intérieur et l’extérieur, comme la paroi de céramique qui réunit le plein et le vide. Nos vies sont ces minces parois, fragiles et solides où se joue une réalité.

Se défaire pour se relier

L’artiste est « habité », c’est-à-dire inspiré, en relation avec l’univers, la nature. Ferdinand parle volontiers de physique quantique. L’intrication dont parle celle-ci est un lien permanent entre deux particules qui se sont rencontrées, même si par la suite le mouvement les éloigne. L’artiste est une particule, une monade : il associe la matière et l’esprit tant est qu’ils sont séparés. Lichtenberg, repris par Jean-François Billeter, écrit : « Cela pense, devrait-on dire, comme on dit : il se produit un éclair. Dès qu’on traduit cogito par Je pense, on en dit déjà trop… » Et aussi : «  Je voudrais pouvoir me déshabituer de tout, pouvoir voir à nouveau, entendre à nouveau, sentir à nouveau. L’habitude  gâte notre philosophie. »

Nous, villosités

Lors du vernissage du 16 janvier 2025, à Annecy, Ferdinand s’est livré à un rite-performance dont il n’avait prévenu personne. Même la Fondation Salomon avait été tenue dans le secret. Ce fut un événement d’une rare intensité, des dizaines de personnes le vivant dans le plus grand silence, observant, partageant la force de ce moment. Il s’agissait de verser sur la tête de Ferdinand les graines d’une plante qui pourrait provoquer des intoxications. Le rite lui ôte ce pouvoir destructeur et permet de l’utiliser pour soigner l’esprit. Dualité, positif-négatif, corps-esprit : il s’agit donc d’habiter et d’être habité non pas en séparant, en se coupant du monde mais en se reliant pleinement à lui. Ses villosités nous font avancer et nous faisons partie de ces villosités.