Iris Levasseur, exposition annécienne

Iris Levasseur, exposition annécienne

30 septembre 2023 Non Par Paul Rassat

Rencontre avec Iris Levasseur pour son exposition, du 29 septembre  au 17 décembre 2023, à l’Abbaye d’Annecy-le-Vieux, organisée par la Fondation Salomon pour l’art contemporain.

Le jeu des miroirs

Auriez-vous été traumatisée, enfant, par un labyrinthe de miroirs ?

Non, mais quand je dessine, je regarde souvent avec un miroir. On ne voit pas de la même manière. Des miroirs traînent à l’atelier, c’est ce qui m’a donné envie d’agrandir les images grâce à cette sorte de subterfuge. Un peu comme dans Alice au Pays des merveilles. On a envie d’aller voir derrière la porte.

Ce procédé crée une relation à la réalité tout à fait différente.

Il laisse place à l’imaginaire. Ça ouvre l’imaginaire. La peinture, ou le dessin, c’est autre chose que les images. Il y a cette possibilité d’aller toujours plus loin, de fouiller, de chercher, de recomposer une narration, une histoire. Ces mises en abyme jouent avec le temps.

Les miroirs de la mise en abyme

Puisque vous parlez de mise en abyme…votre dessin intitulé Mélancholia joue de nombreuses références qui sont elles-mêmes des mises en abyme. Et on peut y voir une évocation de l’Annonciation avec les lys.

Le lys de l’Annonciation, auquel répond le chardon de l’immortalité qui est représenté coupé, sec : entre ces deux extrémités une femme, avec une nature représentée comme un artefact qui n’est plus qu’un tee shirt. Une représentation de la nature. Et la position de la figure humaine est reprise par  la représentation d’une sculpture grecque qui apparaît sur une frise à Olympie.

Ce qui donne plusieurs mises en abyme, d’une représentation à l’autre, à travers le temps… Vous offrez tout un parcours de lectures possibles.

Même le titre, Melancholia, est inspiré de La Mélancolie de Dürer, qui est entourée d’instruments pour mesurer les choses. C’était une découverte liée à cette époque. Aujourd’hui, notre rapport à la nature est très compliqué. On l’aime au point de la figer et de la peindre sur un tee shirt. J’ai essayé de voir comment je pouvais penser une Mélancholie aujourd’hui.

Le kaléidoscope de la réalité

Mais rien n’est figé dans votre travail. Vous coupez, décomposez pour recomposer en une danse permanente à travers les miroirs, à travers le rythme. C’est un jeu permanent auquel vous invitez le public.

Ceci correspond à une ouverture de questions : qu’est-ce qu’une figure ? Comment représenter une figure ? Vous pouvez y réfléchir longtemps. Comment représenter un corps ? Les gens bougent, ils sont là et ailleurs en même temps. Le fait d’avoir plusieurs fois la personne est une aide à sa représentation. Bbp Miroir est presque un kaléidoscope. La ceinture donne un effet d’optique. C’est un peu un papillon qui se déploierait.

Notre relation à la réalité pourrait se jouer dans l’espace qu’il y a entre l’endroit où nous nous tenons et ce jeune homme qui ne nous regarde pas. Mais on est pris, en même temps, dans un cercle qui nous emporte jusque derrière le dessin.

C’est un espace de danse, une chorégraphie qui rejoint l’idée de l’insaisissable et de tourner autour d’un corps.

Observez les traits qui forment le fond du dessin. Ils font, eux aussi mouvement.

Approcher l’insaisissable

Vos visages ne nous regardent pas. Ils sont dans cette dimension d’insaisissable.

J’aime que les visages regardent à l’intérieur d’eux-mêmes. Ils nous invitent ainsi à aller voir au fond de nous mêmes. En nous mettant en position de regardeurs, ça nous interroge sur notre condition humaine.

Où se trouve le faune dans Un après-midi d’un faune ?

Il est représenté dans la position du faune de Nijinsky. C’est vraiment d’après Nijinsky.

Apparition / Disparition

Derrière cette évidence, il y aurait la lecture en filigrane d’un visage qui apparaît dans un rideau entre-ouvert. Une représentation dans la représentation d’une représentation…

J’ai beaucoup travaillé à cette notion d’apparition / disparition dans des figures presque ricanantes que l’on retrouve aussi dans Bezu  Miroir.

On retrouve dans ce « Bezu Miroir »le jeu, l’humour et l’interrogation du monde auxquels semble se livrer en permanence Iris Levasseur. « Beau » devient » Bezu »et la réalité est parcourue, en grandes enjambées…de A à Z.

Le bain des réminiscences

Les références qui alimentent vos dessins font partie de votre culture. Mais comment décidez-vous de les rassembler pour faire une œuvre ?

C’est difficile à analyser, c’est une histoire de temps qui découle de coups de foudre amoureux. La peinture de fresques italiennes, Fra Angelico…J’ai beaucoup regardé. Il faut du temps passé à se battre pour monter ce type d’images et que les choses ressurgissent.

D’où l’impression d’être dans un bain avec chaque œuvre. Et votre dessin D’après Holder ?

C’est un dialogue avec Hodler inspiré de La nuit. Il se représente lui-même à plusieurs moments de sa vie. C’est donc une pièce que je reprends sur les cinq que comporte son travail qui est très grand. Il fait onze mètres.

Dans vos dessins de plus petites dimensions les références à l’antiquité et à l’actualité se télescopent.

Champs de bataille  est une série née au moment où il y avait tous ces conflits au Moyen Orient. J’ai essayé de comprendre pourquoi tant de migrants arrivaient à Paris. J’ai regardé ce qui se passait dans leurs pays d’origine, les œuvres d’art détruites. Je suis allée voir au Louvre ce qu’il y a sur la Mésopotamie, l’Orient. Ce travail se tourne maintenant davantage sur nos guerres occidentales.

Impressions

L’exposition peut se parcourir en plusieurs modes de lecture. Retrouvez-y des références à l’Histoire, à l’art, à la culture, à l’actualité. Intéressez-vous à l’art consommé d’Iris Levasseur de ne pas se contenter de platitude : elle joue sans cesse avec le format, le cadre ou l’absence de cadre, la structure, la perspective. Elle casse pour recomposer différemment. Le parcours des mains est passionnant. Il est possible de voir toute l’exposition en ne s’intéressant qu’aux mains. Ici, elles deviennent les ailes d’Icare, là elles cachent en montrant, caressent un peu comme dans « La Vénus d’Urbin ». Avec « L’ivresse de Noé », elles dessinent une mandorle évocatrice. Le  «D’après Hodler » fait penser à « Drawing Hands » de Escher.

Et puis…observez attentivement cette «  Ivresse de Noé ».En haut, au fond, à gauche du point de fuite…On dirait bien une porte. Peut-être cette porte d’ « Alice au Pays des merveilles ». À voir le monde avec l’œil d’Iris, sait-on de quelle côté de la porte nous nous trouvons ?