Isabelle Carlier est la nouvelle directrice de L’ESAAA
3 avril 2024Rencontre avec Isabelle Carlier qui dirige l’École d’Art des Marquisats, comme on dit communément à Annecy. Dans cette ville tournée vers les pratiques sportives, vers le tourisme et l’événementiel, la part faite à l’art est d’autant plus précieuse.
Vous avez eu le temps de prendre vos repères ?
Petit à petit, je commence à en avoir quelques uns.
Il y a un renouvellement à la tête de Bonlieu, ici à l’École d’Art des Marquisats, comme un nouvel élan. Comment voyez-vous votre façon de procéder dans ce contexte que vous découvrez ?
Je procède comme je l’ai énoncé au moment de ma candidature. D’abord observer, essayer de comprendre comment ça fonctionne et, à partir de là, voir comment travailler avec ce qui sort de terre, ce qui existe là. J’utilise une image, une métaphore qui me semble permise dans une école d’art. Je n’arrive pas avec un projet autre, nouveau, parce que le projet existant m’intéressait en tant que tel. Travailler sur cette base, en revanche, me semble très pertinent pour voir comment le poursuivre et lui donner corps.
Qu’avez-vous perçu de la démarche déjà existante ?
Cette école est très attachée à la question de son environnement, de l’environnement en général. Le fait d’être à Annecy, l’écologie, les Alpes comptent énormément : lac, montagnes, forêts ne peuvent pas ne pas nous interpeller. L’ESAAA a donc travaillé de longue date le sujet de l’écologie, celui de la transition, ce qui me convient parfaitement.
Je viens d’une friche culturelle, d’un centre d’art pluridisciplinaire avec de la musique, de la performance, danse, théâtre, art contemporain, cinéma. Cette friche est une association qui fonctionne avec des moyens financiers assez limités. C’est pour cette raison que je connais le sens de la sobriété.
Il faut y être ingénieux.
Oui, faire sortir les choses de terre, trouver des solutions, travailler très vite avec une idée de l’économie, de l’écologie qui sont déjà dans les pratiques. Venir ici, dans cette école, faisait sens pour moi.
Vous avez plus de moyens.
Oui et non. J’ai été assez surprise de constater, venant d’un milieu associatif et alternatif, que les moyens de l’ESAAA ne sont pas si fous que ça. En réalité les moyens de financement des écoles d’art ne sont pas élevés. Historiquement, tout ce qui est du domaine des arts visuels est assez mal et peu financé en comparaison des arts du spectacle, par exemple et sans vouloir les mettre en concurrence. Le statut des artistes plasticiens est très mal reconnu. On retrouve ces problématiques dans les écoles d’art. Nos moyens sont assez limités, même si nous avons de quoi fonctionner. Ce débat est national et nécessite un gros travail pour changer les choses.
D’où la nécessité et l’intérêt de travailler avec d’autres structures annéciennes.
Effectivement, il est important que nos étudiant-e-s soient en contact avec d’autres structures : centres d’art, galeries, artistes, musées, fondations, lieux autogérés, collectifs d’artistes, des lieux futurs pour les diplômés. Il est important de leur faire découvrir des lieux où leurs pratiques résonnent. La Fondation Salomon, par exemple, en fait partie.
Bertrand Salanon, à Bonlieu, semble avoir la même approche que vous.
Nous nous en étions rendus compte alors qu’il candidatait et que nous discutions par téléphone. Nous nous retrouvons sur de nombreux points, en particulier sur où on agit, avec qui nous souhaitons faire alliance.
Un rapprochement avec le Brise Glace était prévu.
On y travaille, avec l’idée que Les Marquisats sont un lieu multiple et fabuleux ! École d’art, lieu de musique, logements sociaux, sport, plage, cet environnement assez global est particulièrement intéressant ; mais faire tiers lieu ne se décrète pas, ça se travaille. Il ne s’agit pas de proposer de grands projets qui mettront un temps fou à aboutir mais de travailler avec ce qui est déjà là, le faire sortir de terre. Les projets plus ambitieux viendront ensuite, à partir de ces bases. En rendant visibles ces fondations, nous pourrons communiquer sur un sujet plus global.
La prudence n’interdit pas de grands projets.
Il faut avoir des ambitions, essayer de projeter quelque chose. Avec le Brise Glace, nous avons commencé très simplement : nous avons ouvert la porte qui nous séparait à l’occasion d’une soirée étudiante! Rien que ça nous a permis d’ouvrir de nouveaux horizons, de permettre une circulation. Nous sommes désormais au contact direct du monde du spectacle. Une fête que nous avons créée ensemble a célébré cette ouverture. Depuis, nous voyons tout ce que nous pouvons échanger. Il y a d’autres portes à ouvrir.
Qu’attendez-vous des élus ?
Qu’ils permettent aux écoles d’art de redevenir visibles, qu’elles reviennent dans le débat public et culturel. Aujourd’hui, de nombreux lieux culturels, les écoles d’art en particulier, sont en dehors de tous les radars. La création, la formation d’artistes font pourtant partie de la dynamique d’un territoire.
Cet enjeu est d’autant plus important à Annecy qui se tourne vers le tourisme et l’événementiel.
Nous en discutons avec Bertrand Salanon. La façon de considérer Annecy s’ouvre, ainsi que le rapport entre l’œuvre d’art et l’espace public. Annecy Paysages sera vraisemblablement moins centré sur un aménagement, un peu décoratif, des zones touristiques. Nous abordons alors les affaires qui touchent le milieu du cinéma, de la culture, la notion de pouvoir et de puissance, l’organisation verticale, les féminismes.
Ce sont des histoires de réseaux, de liens. Ici, à l’ESAAA, il y a une dynamique collective. Cette question du collégial est importante. Comme elle est à l’envers de nos habitudes, elle se travaille et nécessite beaucoup d’attention.
Ce côté humain est fondamental.
C’est ce qui demande le plus d’énergie, mais c’est passionnant. Il y a dans l’école un niveau de compétence très élevé ; voir ce que l’on est capables de faire ensemble est hyper intéressant, voir ce que le fait de connecter ensemble des personnes permet de faire émerger comme idées. Tout le monde a une vision de la façon dont l’école pourrait fonctionner : mon rôle est de travailler l’articulation de tout ça.