Jacques Copeau
20 avril 2023La maison Jacques Copeau : être théâtre
Voici ce qu’en disent Jean-Louis Hourdin et Yvan Grinberg ( septembre 2022)
Jean-Louis Hourdin
Le principe de cette maison est le partage. Hier soir nous étions sept sous les arbres, à parler de ce que nous faisons les uns les autres. Trente vendangeurs sont venus. Ils avaient vu de la lumière. J’ai acheté la maison pour cette raison. Elle réunit tous les âges. Des auteurs viennent d’eux-mêmes. Des metteurs en scène, des troupes amateures, des vieilles troupes, des troupes émergentes. On fait du boulot de proximité avec les instits de Savigny-les-Beaune, des lycées, les écoles d’art de Beaune. Les sorties de résidences se font devant les gens de Pernand. Et puis, je vous l’ai déjà dit, la maison va être restaurée. Elle va être remise aux normes pour la sécurité, les handicapés, la cuisine va être refaite. Reste à déterminer comment garder l’équilibre entre la modernisation du lieu et l’esprit qui l’habite. Cet esprit qui m’a fait acheter la maison au moment où Catherine Dasté allait la vendre aux viticulteurs. Mon père venait de mourir, je disposais de l’argent nécessaire. On retrouve la décentralo qui avait été entérinée en 45 par le CNR. Que chaque citoyenne et citoyen français puisse avoir accès à la culture.
Yvan Grinberg, directeur
À quoi sert la maison Copeau aujourd’hui ?
À quoi sert une maison ? À venir s’y poser, s’y ressourcer, travailler, partager. Depuis le début de cette semaine trois équipes se retrouvent en arrivant par trois chemins différents. Chacune fait son travail dans son coin mais elles se retrouvent sous un même toit, dans une même maison, dans une même cuisine, à la même table à partager et à nourrir les cheminements de chacun. Dans le monde du théâtre d’aujourd’hui une maison est quelque chose de très précieux. On vient y chercher autre chose que trois dates pour continuer à exister. On y trouve du temps, de la tranquillité. Quelque chose de très fragile, d’immatériel. Ariane Mnouchkine a une très longue histoire avec Copeau et avec cette maison. Elle dit que c’est un lieu thérapeutique. Qui soigne de quoi ? On pourrait en parler longuement. Des blessures du métier d’artiste ?
De manière concrète, ce sont des gens qui viennent travailler. Ils viennent souvent à un moment particulier soit de leur parcours d’artiste, soit de l’histoire d’un projet artistique, d’un spectacle. On est un peu une maison des commencements, des débuts.
Une maternité ?
Entre pépinière, maternité. Ça tient à la particularité de cette maison de théâtre sans théâtre. On y vient avant le théâtre qui s’invente ici. Vitez faisait la distinction entre l’abri et l’édifice. La maison Copeau est un abri pour des commencements, pour des naissances. Et puis le partage passe par la transmission, par les fils entre générations. Quand Jean-Louis a racheté cette maison, il voulait avant tout qu’elle serve à transmettre. J’ai commencé à travailler avec François Château au Centre dramatique. Celui-ci était alors dans un état de fragilité importante. Nous avons senti le besoin d’emmener toute l’équipe dans un lieu apaisant et thérapeutique. Nous nous sommes retrouvés ici. J’ai découvert cette maison en 2007 / 2008. Quelque chose est né du projet porté pendant des années par l’équipe du Centre dramatique. En fait, j’ai enterré ma mère et le lendemain j’étais ici. Quelques années plus tard, à la fin de mon travail au Centre d’art dramatique, j’ai rencontré Jean-Louis qui se demandait comment passer du rêve au réel, comment donner forme à ce qui l’avait poussé à devenir une sorte de dépositaire en acquérant cette maison. Nous avons commencé, avec d’autres, à discuter pour donner forme à un projet qui avait été rêvé avant moi.
Dans son livre Maisons. Quand l’inconscient habite les lieux Patrick Avrane écrit « Le bonheur consiste à faire coïncider le plus possible nos deux maisons mais aussi à faire coïncider le plus possible notre maison imaginaire avec celles des personnes qui partagent notre maison. Pour qu’une maison soit celle du bonheur, elle doit pouvoir se partager. »
Bachelard écrit de très belles pages sur la maison. Il y consacre un chapitre dans La poétique de l’espace. Les projets qui se travaillent ici partagent l’amour du théâtre, du texte, de la poésie avec des publics qui vont de la maternelle, aux centres médicaux sociaux, aux gens du village. [Lors de notre passage à la maison Copeau, deux hôtes allaient lire des poèmes aux vendangeurs en action sur les collines proches] Nous sommes un lieu de rencontre, de croisement dans le cadre de la formation professionnelle. Nous travaillons avec plusieurs grandes écoles dont certaines héritières de la pensée de Copeau, Saint- Étienne (Dasté), le TNS (Michel Saint-Denis, neveu de Copeau qui a contribué à synthétiser la pensée de Copeau et à l’institutionnaliser dans certains lieux à travers la pédagogie du théâtre).
Nous travaillons ici l’héritage immatériel que représente la pensée de Copeau. Nous ne sommes pas un musée, ni un mausolée mais un lieu en réflexion, en interrogation sur la pensée très riche et très complexe de Jacques Copeau. Une pensée pleine de contradictions et d’ouvertures. On se balade dans un champ…
L’idée de champ est intéressante. Ici l’espace est largement ouvert.
Ce champ donne à penser et à rêver sur ce que sont nos métiers. Il y a une utilité à travailler de manière critique, en historien et à rendre vivante cette pensée par le partage. Copeau a été pas mal occulté par l’histoire du théâtre en France. Il a été mieux défendu en Italie par des gens comme Giorgio Strelher. Marco Consolini avance que les pensées d’un Copeau ou Jouvet ont été occultées à cause de la prégnance de la pensée brechtienne sur le théâtre français. Elles ont pu être considérées comme réactionnaires, idéalistes.
Nous ne sommes cependant pas un lieu porteur d’une esthétique. Les gens viennent avec des esthétiques très variées. Les axes communs, s’ils y en a, ne sont pas liés à une vision du théâtre qui serait héritée de Copeau. Ils relèvent plutôt d’une vision du théâtre dans la société, quelque chose autour de l’engagement, de l’invention. L’idée que le théâtre est sans cesse en train de se réinventer. Nous ne sommes pas un lieu de production avec des enjeux financiers et les choix qui en dépendent. S’il y a un choix, c’est celui d’accompagner de toutes jeunes équipes. Je parlais d’un lieu des commencements.
Vous regardez les dossiers des troupes qui souhaitent venir en fonction de ces critères.
Nous ne lisons pas des dossiers, nous rencontrons des gens. Entre un dossier et un spectacle il y a tout un monde. La rencontre, c’est tu tends la main et tu dis « Viens, vas-y ». Au fond c’est à la fois une force et une faiblesse : la maison Copeau n’a pas d’identité esthétique au même sens qu’un patron de théâtre pourrait l’avoir. Nous sommes un laboratoire.
Je n’ai pas osé dire à Jean-Louis Hourdin qu’il est très égoïste. La véritable transmission se fait dans les deux sens. Le « maître » apprend aussi de l’élève. Vous apprenez en accueillant les autres.
Ceci rejoint nos interrogations permanentes. Nous avons un moment de transmission qui a lieu à l’automne, à la Toussaint. Nous recevons 150 à 200 gamins étudiants d’écoles de théâtre, des conservatoires du coin, des écoles nationales. Chaque fois on remet en jeu la question de la verticalité du savoir, comment on peut être suffisamment malin pour en apprendre autant que les gens qu’on reçoit. Ça fait partie de l’essence du projet de la maison.
C’est un égoïsme intelligent qui évite l’ennui.
Si nous nous ennuyons ici, c’est que nous ne faisons pas bien notre boulot !