Jean-Marc  Rochette

Jean-Marc  Rochette

22 octobre 2022 Non Par Paul Rassat

Entretien avec Thierry, de BD Fugue Annecy, pour parler de l’œuvre de Jean-Marc Rochette qui rencontre son public à Annecy ( BD Fugue) le 22 octobre 2022.

D’Ailefroide à La dernière reine

Ailefroide a été un tournant pour Jean-Marc Rochette.

Un tournant critique et surtout public. Il était connu auparavant des lecteurs qui fréquentent les librairies spécialisées. Edmond le cochon ou Transperceneige, qui a eu un accueil critique remarquable, n’ont pas été des grosses ventes. C’est le film qui a fait redécoller Transperceneige. Tout le monde ne lit pas de la science fiction. Tout le monde n’apprécie pas l’humour d’Edmond le cochon .En revanche les montagnes, surtout dans notre région, fascinent. Et puis l’authenticité habite son œuvre depuis le tournant que constitue Ailefroide.

Autobiographie triplale

Rochette se destinait à être guide de haute montagne. Ailefroide montre le double choc esthétique qu’il a vécu pendant sa jeunesse. La beauté de la montagne, la volonté de la dessiner, et puis le choc physique. La volonté de se dépasser, de se fixer un objectif alors qu’il était en mal de repères. En réaction à la perte du père, à l’incompréhension du système scolaire… L’apprentissage de la montagne va être aussi celui de l’amitié. Il rencontre plein de gens, comme lui fous de montagne, qui vont apprendre sur le tas. Le danger est omniprésent. On sent le côté autobiographique. Il y met ses tripes.

Apprendre à être seul aux commandes

Son dessin n’est pas apprêté, d’où son caractère d’authenticité. Il transpire les sentiments, la force vitale. Rochette retranscrit ce qu’il voit, ce qu’il a vécu. Il a par exemple été très exigeant avec son imprimeur pour trouver les couleurs du ciel et de la pierre pour Ailefroide qui a initié une nouvelle voie dans son travail.Il a beaucoup souffert dans sa vie. Pas uniquement de l’accident qui lui a emporté une partie du visage. Il était dyslexique, donc inhibé dans sa volonté d’écrire des scénarios. Je crois aussi qu’Ailefroide est le premier album où il est aux commandes tout seul.

Rochette le révolté

Il prend de l’assurance.

De la hauteur. Il assure ses prises.

Mais il est toujours aussi révolté.

Oui, mais on pourrait presque dire qu’il y a une espèce de progression entre Ailefroide, Le Loup et la dernière reine. Aucun n’est meilleur que l’autre mais il y a un élargissement du spectre. Dans le premier album la nature est plus forte que soi. La nature nous regarde passer alors qu’on prend nos risques. Le loup, c’est la question de la nature et de la culture, l’homme et l’animal. Qui est légitime ? Il est question aussi de la souffrance personnelle. La dernière reine réunit un peu tout. La culture, la nature, l’animal, le drame personnel.

La question de l’art rejoint celle de la nature

Le loup et l’ours sont des animaux qui ont été vénérés par les premiers hommes. Ils représentent des forces profondes liées à la nature. Et ils ont été ensuite chassés, voire exterminés. La relation que nous avons avec ces animaux traduit toute celle que nous avons avec la nature, et donc avec nous –mêmes.

Oui. La dernière reine est aussi une belle évocation du Paris artistique, bohême. On y voit Soutine, Rosa Bonheur, les artistes animaliers.

Rochette aborde la question de l’art. Soutine, la viande, les artistes animaliers d’un côté. De l’autre le canular de Dorgelès, ce tableau peint en attachant un pinceau à la queue d’un âne, l’urinoir de Duchamp.

Qu’est-ce que l’art ?

La grande question de l’art au 20 ° siècle est «  Qu’est-ce que l’art ? » Qui décide que quelque chose est une œuvre d’art ? C’est de l’art parce que c’est dans une galerie, dans un musée ? Qu’est-ce qu’un artiste ? Quelqu’un qui réfléchit, une énergie qui le traverse ? Alors le hasard peut faire l’affaire, et pourquoi pas la queue de l’âne ? Statistiquement, on peut imaginer qu’en mettant un singe devant une machine à écrire, il peut taper un sonnet de Shakespeare. C’est peut-être déjà arrivé sans qu’on s’en rende compte parce que ce n’était pas décrété de l’art. Au départ de tous les mouvements de l’art l’académisme réagit en disant que ce n’est pas de l’art. Les dictatures éliminent en premier les intellectuels parce que ce sont ceux qui réfléchissent. Voir aussi les nazis avec l’art dégénéré.

Qui en décide ?

C’est remarquable parce que cette expression,  » art dégénéré », fait quand même référence à l’art.

Oui, ça restait de l’art. On revient à notre point de départ. Qui décide que c’est de l’art ? Le public, la critique ? Le temps ? Celui-ci est peut-être le juge de paix. C’est un peu le cas en musique si on se souvient du nombre de compositeurs qu’il y avait à l’époque de Jean-Sébastien Bach ou d’autres.

Certaines œuvres disparaissent aussi parce qu’elles sont très atypiques. On les retrouve parfois plus tard, comme en littérature.

Rochette l’authentique

Et dans tous les arts. Si je n’avais qu’un mot pour Rochette, je dirais «  C’est authentique ». Il a des convictions, il a vécu ce qu’il raconte. Son dessin est puissant. Chacune de ses cases offre une densité, une énergie vitale. Chaque moment s’en trouve transcendé.

Parfois ce sont les pages sans présence humaine apparente qui sont le plus empreintes d’émotion humaine. Il y a quelques pages de ce type dans le dernier Catherine Meurisse.

Davodeau fait ça très bien. Dans Le droit du sol, par exemple. Les sensations, la beauté de la nature simple. Un lever de soleil après une nuit dans la tente et sous la pluie. Est-ce qu’on peut faire un rapprochement avec la représentation de la nature chez Rochette ? Je sens que ce dernier est un homme en colère.