« Jours de Sable » . alchimie entre dessin et photographie
31 mai 2021Une enquête, un documentaire
Le héros de « Jours de sable », jeune photographe, est chargé par la Farm Security Administration d’un reportage sur les conséquences de la dépression de 1929 que subissent les habitants du Dust Bowl. Cette région à cheval sur le Texas, le Kansas et Oklahoma connaît pendant dix années une sécheresse terrible. Le sol aride n’est plus cultivable. Les vents de poussière dévastent la contrée. Les fermiers meurent de faim, de maladie ou bien cherchent à s’installer ailleurs. Par la photographie, la Farm Security Administration veut toucher l’opinion, aider les habitants du Dust Bowl.
Revoir autrement du déjà vu et lui redonner sens
Le choc des photos ! Utiliser l’image dans un but de communication, de propagande doit être une pratique aussi ancienne que l’existence des images elle-même. Chaque chapitre de « Jours de sable » débute par une photo d’époque. De ces photos, de ces plans que l’on a déjà vus dans des films documentaires, ou bien manipulés par la propagande soviétique. La force et les raccourcis de l’image. Rappelez-vous récemment le cadavre de cet enfant sur une plage ; ou bien l’arrivée de migrants au milieu de touristes bronzant en bord de mer…Le travail d’Aimée de Jongh revisite (terme à la mode) et questionne l’utilisation de l’image par la photographie. Les documents de La Farm Security Administration ont inspiré Steinbeck pour l’écriture des Raisins de la colère (1939).
Photographie et tromperie ?
« La photographie est l’art de la tromperie » déclare le jeune héros photographe qui finit par renoncer à son art. Cet album est un questionnement sur le rôle et les limites de la photographie et de l’art en général. L’intelligence d’Aimée de Jongh est de dépasser l’histoire qu’elle raconte et qu’elle illustre et de questionner ainsi le sens de nos vies et de la transmission sous bien des formes. Elle aborde au passage les pratiques agricoles. Le labourage qui nous permet de cultiver et de nous alimenter détruit les sols, les appauvrit. Il participe au réchauffement de la planète. Le lien avec notre époque est évident : mal utilisées, les techniques et les technologies qui nous permettent de vivre participent à notre perte et à celle de la planète.
Les limites de la photographie et de l’art
Quel serait le rôle de l’art dans tout ceci ? Pour devenir plus percutante, la photographie est parfois mise en scène. Elle manipule la réalité. Elle ment. Quant au photographe, il peut être considéré comme un voleur d’images. Il n’est que de penser à la photo de Kevin Carter « L’enfant et le charognard ». Dans combien de cultures la représentation humaine est-elle interdite parce que considérée comme le vol de l’âme ? Nécessité faisant loi, l’interdit plie en échange de quelques pièces de monnaie. Les questions posées par Aimée de Jongh touchent à la philosophie. Un appareil peut-il capter l’âme humaine ? Et puis la photo ne pourrait pas montrer le hors-champ. C’est ici qu’on se souvient du poème de Prévert « Pour faire le portrait d’un oiseau »
… peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l’herbe dans la chaleur de l’été…
Une œuvre d’art réussie dit plus que ce qu’elle offre à voir, à entendre, à toucher. En ce sens, Jours de Sable est une œuvre d’art réussie. Tout s’y mêle, narration, fiction, documentaire, reportage, réflexion, photographie et dessin pour emporter le lecteur dans un vent de sable, de poésie et d’humanisme.