Kokou-Ferdinand Makouvia à Annecy

Kokou-Ferdinand Makouvia à Annecy

16 janvier 2025 0 Par Paul Rassat

 La Fondation Salomon pour l’art contemporain expose Kokou-Ferdinand Makouvia à L’Abbaye, espace d’art contemporain , Annecy-le-Vieux du 17.01 au 13.04.2025.

Rencontre avec Kokou-Ferdinand Makouvia alors que se termine l’installation.

Le mot villosités qui apparaît dans le titre de l’exposition est remarquable. Il est question de poils mais aussi de placenta, donc de la vie.

J’avais tout ça en tête. Je prends beaucoup de temps pour choisir mes titres. Je me concentre sur eux, sur les mots et sur le mouvement qui va advenir. Tant que je ne commence pas l’installation, je ne peux pas vraiment la définir mais la création commence lorsque je compose les mots. Après, sur place, je vois le possible. J’aime arriver avec des idées qui se font aussi sur le lieu d’exposition. Finir les œuvres à l’atelier et les disposer ensuite  ne me convient pas.

C’est un peu comme dans le langage : quand on réfléchit vraiment, l’expression est un peu confuse, elle se cherche.

Exactement ! Pour moi la création peut se finir le jour du vernissage, elle peut même continuer après. Les œuvres se réinventent

Villosités ? C’est quand même quelque chose de très viscéral qui touche au domaine intestinal et qui permet le mouvement intérieur de broyage des aliments. Voilà, je suis parti de là pour me demander ce qui allait se passer ensuite. Cela m’a amené à la création des nuages que j’ai imaginés pris dans le mouvement le plus radical du ciel, quand il y a ces chocs des énergies qui créent la foudre. Pour moi, il ne s’agit pas de la foudre qui fait du bruit, mais de celle qui crée du mouvement à l’intérieur. On rejoint ici un autre mot de mon titre : le ronronnement du chat…

La démarche associe l’extérieur et l’intérieur, l’univers et l’intime.

C’est ce mouvement que j’aime réaliser. C’est la nature qui travaille, et notre corps. La nature travaille à l’extérieur mais elle touche l’intérieur de notre corps.

Est-ce qu’il y a une référence à l’animisme dans ce travail ?

Je ne prends pas ce mot dans la définition que lui donne l’Occident. Je préfère parler de la spiritualité ou de la connexion de l’homme à la nature. Chaque peuple ( plutôt que religion) a ses manières de se connecter à « la puissance suprême ». Oui, je suis d’origine africaine. J’ai vu les croyances qui relient mes grands-parents à la nature et qui sont leur vérité. Je suis plus intéressé par cette connexion que par l’idée d’un intermédiaire, comme dans les religions. Cette connexion , nous pouvons l’accentuer par la vraie conscience des choses qui nous entourent. Tout ce qui nous entoure fait partie de nous. La nature est aussi en nous, elle bouge. Il n’y a pas de barrière.

En découvrant l’exposition au tout début de l’installation, j’ai pensé : «  C’est la rencontre entre le mouvement et l’exubérance africains et le baroque savoyard. »

Je n’y avais pas pensé de cette façon, mais j’avais demandé à visiter l’espace, la ville, la nature environnante. Quelque chose émane de cette rencontre. Je parle beaucoup de la stratification des cultures. Je ne viens pas imposer, je compose avec ce qui est autour de moi, avec ce que j’apprends au jour le jour. Pas uniquement dans les livres mais dans la communication, comme en ce moment ou  avec d’autres visiteurs…

C’est pourquoi le travail n’est jamais terminé.

Terminé n’est pas le mot que j’utiliserais. Ce sont des compositions qui sont dans un mouvement permanent.

Ce serait toujours la même œuvre qui se déroule suivant les lieux, le moment, l’environnement. C’est un cheminement.

J’ai commencé en 2016 certaines œuvres exposées ici où elles se déploient autrement. D’où une réflexion sur les cartels. Est-ce qu’on y met telle ou telle date ? 2018 ? 2024 ?

Elles échappent au temps.

Elles sont intemporelles, mais chaque intervention les réactualise dans ce mouvement continu. Je ne crois pas que mes œuvres sont présentées deux fois de la même manière. Pour cette exposition je parle de Laboratoire 34, qui intègre dans l’espace Laboratoire 33. Non seulement l’espace accueille Laboratoire 33 mais il se passe quelque chose à partir de ce noyau…

Pendant notre conversation, Ferdinand travaille à l’installation de son exposition. Nous nous sommes déjà rencontrés deux fois, plus brièvement. Ce mercredi, veille du vernissage, il reste des mises en place à effectuer mais le plus gros est réalisé. Ces moments de préparation, de construction d’exposition sont des instants privilégiés. On y remarque les ajustements, y relève des questionnements que nécessite le passage de l’intention à la réalisation. C’est d’autant plus intéressant quand il s’agit d’un artiste comme Ferdinand puisque sa démarche est un mouvement permanent qui intègre et redéploie les étapes précédentes.

La partie intérieure de l’exposition accueille un ensemble qui constitue le cœur palpitant de la bête qui se déploie dans l’espace ; espace qui devient en même temps la source d’inspiration de l’œuvre. Puisque ce lieu est habité d’une très grande force, je considère depuis le début de mon intervention que l’œuvre est ce lieu-même et non  telle ou telle série de réalisations qu’il contient. Le visiteur vient dans l’œuvre.

Il est à l’intérieur et en fait partie. Et puisqu’il est question de villosités et d’intestins, le visiteur va être digéré !

Il est avalé ! Éjecté après pour devenir autre chose. D’où mon intérêt pour les conversations qui me permettent de recueillir les impressions du public. Celles-ci me permettent d’intervenir sur le futur de l’œuvre, pour d’autres installations à venir ailleurs. Le mouvement perpétuel que nous avons évoqué laisse des traces qui finissent par s’effacer sous d’autres traces.

Ce mouvement rappelle celui de Penone qui a été exposé ici par la Fondation Salomon. Il a réalisé une exposition faite de frottis des traces qu’avaient laissées les  expositions précédentes dans la galerie de Zurich où il se trouvait.

J’aime beaucoup Penone parce qu’il est très proche de la nature, cette nature que j’aime beaucoup dans son travail, la connexion directe avec les veines, les détails, l’évolution due au temps qui passe et qu’il parvient à saisir non pas pour le figer mais pour montrer au public qu’il y a un temps qui est là, qui s’allonge, rétrécit, qui bouge. On sent le temps dans la présence de l’œuvre !

Cette façon de percevoir le temps et l’univers nous permet de vivre pleinement.

C’est vrai, mais on n’arrive plus à vivre ce temps, on a envie de le pousser, d’en avoir le contrôle. C’est impossible, il faut en avoir conscience et vivre simplement avec lui. L’évolution humaine fait qu’on a envie de courir, on n’a pas le temps… Il nous faut être dans cette présence du temps qui passe et qu’on ne peut pas saisir.

Le « lâcher prise » est devenu une formule creuse. Carpe diem correspondrait peut-être mieux à cette philosophie.

J’aime par-dessus tout être dans la présence de la matière ; je parle de la spiritualité de la matière. La matière, on peut la toucher, et avec elle il y a le mouvement, qui est la vie même de la matière. Ou plutôt de l’énergie dont la composition est la même chez les humains, les animaux, les végétaux, les minéraux. Certains parleraient de Dieu, moi de vibration.

J’aime montrer ce mouvement intérieur de la matière parce que l’homme a tendance à penser qu’il est supérieur. Nous contrôlons tout, nous pouvons tout détruire quand nous le voulons, construire, et c’est NOUS qui sommes au  centre ! Notre ego nous fait croire que c’est nous qui faisons la nature ! La physique quantique nous montre que la vibration à l’intérieur de chaque élément est la même.

Petit clin d’œil au clinamen de Lucrèce et d’Épicure ainsi qu’à la notion d’intrication que souligne la physique quantique.

La science, qui nous a coupés de Dieu ( on peut discuter de sa définition) revient nous dire que la matière vibre de la même façon à travers tous les éléments et que nous faisons corps avec eux. Je suis homme ? Ok ! Comment concevoir ce qui est autre, extérieur à moi, comment puis-je le vivre, en être traversé ? Et comment puis-je le traverser ? Dans mon atelier je fais attention à tous les détails, à tous les bruits. Je suis en méditation pour composer non pas seul, mais avec la matière. Je tiens une conversation avec elle. Je ne crée pas seul ; nous créons.

L’œuvre d’art échappe à la formule, à la description. Elle transmet une force et un mystère.

La description permet à certaines personnes de comprendre quelque chose, d’arriver quelque part. D’autres font l’effort d’aller au-delà des mots, au-delà de ce qui est visible pour se laisser transporter, traverser ou même écraser par ce qu’ils voient, pour se fondre, pour dépasser la compréhension et parvenir à la connexion. Le projet de l’artiste doit permettre ceci.

Il faut donc permettre, être dans la proposition plutôt qu’affirmer et chercher à convaincre.

Je suis dans la proposition. C’est comme pour la lecture : certains mots, seuls, ne veulent rien dire ; mais quand on lit tout le livre autre chose se dessine que dans un mot, dans un paragraphe ou un chapitre. Quand on arrive dans certaines expositions, quelque chose monte depuis le ventre, on a l’impression de digérer quelque chose. On sent qu’il se passe quelque chose.

C’est réussi quand on est devenu soi-même une partie de l’exposition et qu’elle nous habite.

Ce que ça devient…mais ce qui se passe dans le moment de la visite est très important, il reste gravé en nous. C’est pourquoi je parle de rencontres, avec la matière, avec l’esprit, avec l’outil, dans le moment, dans l’espace qui m’est attribué. C’est important. Ça ne peut pas se passer ailleurs que là ! Maintenant ! Et pour ça, il faut un avant, et ma prochaine exposition est déjà là. Chaque instant compose une continuité qui elle-même donne vie à chaque instant.