Giuseppe Penone. Exposition à Annecy

Giuseppe Penone. Exposition à Annecy

21 mai 2022 Non Par Paul Rassat

Organisée par la Fondation Salomon pour l’Art Contemporain, l’exposition Giuseppe Penone est visible à l’Abbaye-Espace d’Art Contemporain, 15 bis chemin de l’Abbaye Annecy-le-Vieux jusqu’au 28 août 2022. Talpa a pu suivre une visite guidée menée par Laurent Busine, commissaire de l’exposition et ami de l’artiste. Cette visite a permis quelques échanges.

Préambule

Est-ce que Penone a réussi à devenir un arbre ? Dans Giono, par exemple, un personnage devient la rivière, il ne fait qu’un avec elle.

C’est une bonne question. Giono est un auteur magnifique. Penone connaît très bien la nature avec laquelle il crée une fusion.

Faire apparaître la forme déjà présente

La première exposition que j’ai réalisée avec Penone date de 86, au Palais des Beaux Arts de Charleroi dont j’étais le directeur. Exposer ici était une idée intéressante étant donné l’exiguïté du lieu,  sa sacralité et les dimensions très importantes des œuvres de Penone. Je suis donc parti d’une de nos conversations. À la galerie Konrad Fisher de Düsserldof, Penone avait frotté tous les murs avec du graphite. Apparaissent alors des défauts, des repeints dus à des années d’expositions précédentes. Penone m’a dit « Faire apparaître la forme qui est dans la matière, c’est mon travail. » Évident sur les murs de cette galerie, c’est presque l’essentiel de tout son travail. L’artiste est l’intermédiaire qui nous permet de voir ce que nous n’avions pas vu. Il fait advenir les choses plutôt qu’il ne les décide et les dessine.

Faire émerger un « savoir vivre »

Le marbre existe depuis des millions d’années dans cette montagne. On en coupe une tranche et tout à coup la tranche en question ressemble à la montagne. Une sorte de « savoir vivre » extraordinaire s’installe entre les deux. On voit alors cette montagne parcourue de veines, de sang. Puisque Penone fait simplement advenir ce qui est déjà là, il laisse toute liberté d’interprétation au spectateur. C’est à celui-ci de poursuivre. Chaque interprétation est singulière. Tel tableau, telle œuvre pourrait sembler un travail abstrait dans la tradition de l’histoire de l’art. C’est en réalité on ne peut plus réaliste ! L’image est donnée par le marbre lui-même, ou par le frottement. Le procédé se retrouve dans le bloc de marbre. Par l’ouverture aménagée, on voit les veines du marbre à l’intérieur.

Traces, empreintes vivantes

Le bras est formé d’un assemblage qui comprend une empreinte. Nous avons ici des traces humaines, comme nous avons là-bas des traces de la montagne.

Puisque nous parlons de traces humaines, de traces de la vie en général, nous voyons aussi les traces, les empreintes prises à l’intérieur d’une boîte crânienne sur lesquelles Penone superpose une feuille. Les deux géographies entrent en conversation.

Pensieri di foglie montre tout le cycle de la vie et concentre le thème de l’exposition. Penone poursuit cette préoccupation depuis cinquante ans. Avec du bronze, du marbre, du bois…

Montrer l’imperceptible, l’éphémère

Est-ce que son travail a évolué au fil de ces cinquante années ?

Au début, il était beaucoup plus radical. Son père était grossiste en fruits et légumes dans le Piémont. Penone a une connaissance extraordinaire de la nature. La plus grande partie de son travail, à ses débuts, était marqué par cette connaissance très poussée. Il a fait, par exemple, des photos magnifiques de tout petits nuages qui apparaissent quelques instants dans les forêts au moment où le soleil illumine la rosée. Il a réalisé et photographié une pièce fantastique. Une pierre trouée, une corde reliant la pierre et un arbre. Au matin la pierre est levée parce que la corde est tendue par l’humidité de la rosée. Le soir, la corde est sèche et la pierre reposée au sol.

Il y a un avant et un après Penone

Il avait cependant choisi la bonne voie dès le départ.

La seule qu’il pouvait choisir, parce qu’il est têtu comme une bourrique ! On croit choisir…Il aurait pu devenir agriculteur, il a décidé de devenir sculpteur. Il a très vite réalisé que l’école ne lui proposait pas ce qu’il cherchait. Même s’il a une excellente maîtrise technique, il ne s’est jamais inscrit dans la tradition académique. C’est pour cette raison qu’il y a une sculpture avant et après Penone. Il a modifié l’idée même de la sculpture. Faire apparaître ce qui n’apparaît pas ! C’est à la fois ce qu’il y a de plus modeste et de plus orgueilleux. « Je n’y suis pour rien, mais… ! »

Fabriquer de la poésie

Habituellement je ne fais vraiment attention aux titres des œuvres. Avec Penone ils sont éclairants. On y retrouve la notion de correspondances. Je pense à Baudelaire. Votre travail est de faire apparaître ces correspondances.

Aucun de ses titres n’est innocent. Anatomia, Nel marmo (À l’intérieur du marbre). Il donne souvent un titre à l’exposition elle-même. Nous n’en avons pas trouvé pour celle-ci. Il y a toujours dans le travail de Penone la notion de transfert de matière à matière, de nature à nature. Et la parole est ce transfert qui nous permet de parler, de nous comprendre.

Le mot poésie vient du grec poièsis qui signifie « je fais, je produis, je fabrique. » Avec le travail de Penone et cette exposition, nous sommes en pleine poésie.

Oui, Penone fabrique et ça devient de la poésie.

Poésie, vraiment ?

Puisque de poésie il est question, Talpa creuse la question. Dans l’Antiquité seul le résultat de la création importait. Une maison, une statue…Rarement le nom de l’architecte ou de l’artiste leur était associé. Au vingtième siècle, on bascula à l’opposé : l’écrivant prit le pas sur l’écrivain. L’acte devint plus important que le résultat. La poésie est l’ensemble, acte de création, résultat, relation intérieur / extérieur. Approche globale ( à 360 degrés dirait la com réductrice à une vision purement géographique et de surface). Et puisqu’il est question de poésie et de cycle de la vie, notons que Penone s’intéresse à la musicalité de l’arbre…qui concourt à la fabrication de tant d’instruments… (Henry-Claude Rousseau). Nous rejoignons là, entre autres, Brassens et Prévert. Et Talpa pense que L’homme de Vitruve est, en réalité, un arbre.