La consécration, enfin !

La consécration, enfin !

6 janvier 2025 0 Par Paul Rassat

Enfin la ville d’Annecy connaît la consécration ! Enfin ! Ces milliers de visiteurs venus du monde entier pour le Festival du Cinéma d’Animation ? De l’animation, oui, mais au-delà ? Ces événements sportifs qui se succèdent à s’en chevaucher ? On finit par s’y habituer. Comme on subit sans broncher le surtourisme et les visiteurs confondant le Fuji Yama et les vieilles prisons. Le plug d’Annecy Paysage ? Il n’est pas resté dans les annales. Le truc, aujourd’hui, c’est que si c’est pas viral iconique et ultime, ça vaut rien.

Annecy finissait par s’habituer à l’exceptionnel comme le bourgeois s’habitue au caviar, et les vélos cargos tenaient lieu de cargos sillonnant les mers lointaines.

Jusqu’à ce que…enfin, jusqu’à ce jour béni qui consacre la ville.  Il aurait valu une lettre alerte, étonnante, sublime, rarissime de Madame de Sévigné elle-même. Je vous le donne en cent, je vous le donne en mille, que croyez-vous qu’il arriva ?

Non, le lac on ne vida. La circulation en son bon sens ne fut pas rétablie. Que se passa-t-il ce jour béni ? Non cher ami du peuple, on ne supprima pas les impôts locaux. Pas plus qu’on ne dégoudronna la ville, cher écolo à vélo sans pot qui dans la nature vous échappez afin de fuir les  nuisances de la ville auxquelles vous participez. Pas plus qu’on ne rasa gratis.

Ce jour-là, ce fameux jour, un quidam, un inconnu qui eût pu être vous ou moi, surtout vous, un quidam dégrada puis vola une aquarelle par Jean-Pierre Montmasson réalisée.  «  De Venise aux Marquises ». Exposition exquise qui donne au mot « exposée » tout son sens.

Léonard, Van Gogh, Monet, Vermeer…

Enfin quoi, me demanderez-vous ? S’attaquer à une aquarelle, la dégrader pour la voler, en quoi serait-ce une bénédiction, une reconnaissance ou une apothéose pour la bonne ville d’Annecy ? C’est que le vol intervient après l’épisode de la soupe projetée sur La Joconde, après l’attaque des Tournesols de Van Gogh à Londres, celle des «  Meules » de Monet en Allemagne, celle de « La Jeune Fille à la perle » de Vermeer… Grâce à cet événement, Annecy se situe enfin au niveau de Paris, Londres, Amsterdam. C’est une reconnaissance mondiale !

Témoignage du voleur à l’arraché

Retrouvé grâce à une enquête minutieuse, celui par qui la gloire est arrivée à l’insu de son plein gré, s’est confié.

— Ce qui m’a pris ? Une sorte de surtension. J’entendais parler de conflits d’intérêt chez certains élus, conflits concernant la circulation, l’attribution d’aides à la culture. Pas mal d’Annéciens se plaignent et ne sont pas entendus. J’avais l’impression de subir une sorte d’emprise contre laquelle je ne pouvais pas réagir. Je ne savais pas quoi faire pour manifester contre cet état de fait. Je tournais en ville, de sens interdits en plots de signalisation, errant dans l’agitation de fin d’année. Mes pas m’ont porté vers Bonlieu, j’ai suivi les marches menant à la salle d’exposition, machinalement.

Confusion

« De Venise aux Marquises » annonçaient les affiches. Je croyais à des marquises comme les auvents à l’entrée des maisons. De l’architecture domestique. Et paf ! Je me prends la beauté du monde en pleine gueule ! Les paysages, les villes, les gens, le mouvement ! J’en ai eu le tournis. Toute cette beauté ! J’ai été emporté par le syndrome de Stendhal : submergé par l’exposition, par l’emprise annécienne que je dénonce, j’ai perdu pied. Il m’a fallu me raccrocher à quelque chose ; à cette aquarelle. Pourquoi celle-ci ? J’entame prochainement une psychanalyse pour le comprendre. Cet acte non prémédité est pour moi une bénédiction, je revis. Les conséquences matérielles ? J’espère qu’on me pardonnera ce geste salvateur qui constitue une reconnaissance. J’aurais pu balancer de la soupe sur l’œuvre. Je n’en avais pas sur moi. Je me promène rarement avec de la soupe dans les poches. Et puis jeter de la soupe quand des millions de gens meurent de faim !

Saisir la beauté

Ce que j’ai fait de l’aquarelle ? Je la cache. J’en découvre un millimètre carré par jour afin de m’y habituer très progressivement. Je ne voudrais pas être submergé de nouveau par le choc d’une beauté qui me pousserait à voler de nouveau ce que j’ai déjà volé.

Afin de mener notre enquête jusqu’au bout, nous publions la réaction de l’artiste.

Jean-Pierre Montmasson

— Effondré, moi ? Pas du tout ! Je tiens la permanence, comme d’habitude lorsqu’une jeune femme saisie de surprise et d’étonnement m’avertit du larcin auquel elle vient d’assister. Vol d’une aquarelle décollée de son cadre : magnifiques traces de déchirures sous les quatre solides points de colle. Un vol à l’arraché !

Et voilà repartie en voyage cette aquarelle peinte à l’ombre du flying deck, sur la passerelle du CMA/CGM Manet au large des Galapagos. Elle passe de mon sous-main de bois strié par les marques de mon cutter aux mains d’un homme assez jeune, comme en témoigne la vidéo de surveillance. La voilà repartie, comme mon travail, pour un périple au long cours.

Le mobile du vol importe peu : me voilà soudain reconnu dans l’art du carnet de voyage, consacré dans l’art de la rencontre, du partage (déchirures éventuellement comprises) avec les autochtones des débits de boissons où partout dans le monde m’incruste mon art.

L’exposition ? Un vrai succès. Je découvre la diversité des visiteurs. La deux millième, une Turinoise a reçu mon livre en cadeau, comme le trois millième et le quatre millième. Quelle merveille que ce visiteur rompant le comptage, déchirant l’ordre établi d’un vol qui m’élève, moi, modeste artiste, au rang d’un Léonard de Vinci ! Lorsqu’en 1911 on vola La Joconde au Louvre, il y eut d’interminables files d’attente pour voir l’espace alors vide qu’avait occupé l’ŒUVRE.

La consécration d'Annecy grâce au vol d'une œuvre d'art.

Porter plainte ? Ce serait réduire cet acte héroïque à un simple larcin. Sic transit gloria mundi , on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve disait Héraclite. L’aquarelle passe, l’art demeure : je viens d’accrocher une belle aquarelle de Zanzibar en place de celle que l’on m’a dérobée. Tentation pour un futur vol à l’arraché ?

La photo montre Jean-Pierre Montmasson devant la nouvelle aquarelle exposée.